(Billet 811) – L’inflation devient impossible et la technocratie reste impassible

(Billet 811) – L’inflation devient impossible et la technocratie reste impassible

Les vidéos de colère circulent et des milliers de manifestants déambulent, les commerçants n’en peuvent plus, les ménages sont en plein désarroi, les classes moyennes perdent progressivement leurs moyens… mais le gouvernement veille et surveille, dit-il, puis s’en va, la conscience tranquille.

Agadir, Sidi Slimane, Tétouan… la colère monte et la révolte gronde. Les prix des denrées alimentaires flambent mais le gouvernement lambine. A un problème éminemment social, les ministres concernés répondent par des arguments étonnamment convenus. Un parlementaire syndicaliste s’adresse à la ministre de l’Economie et des Finances et égrène les prix des légumes en « rials », et Nadia Fettah Alaoui répond par des approximations en dirhams et déroule une logique Excel pour expliquer les contrôles des marchés et les quantités de produits saisis et d’infractions constatées. Elle ne semble avoir cure de cette terrible phrase du même élu « les poissons et les fruits ne sont pas pour nous », et elle affirme que les viandes ont augmenté de « 10 ou 15 dirhams » et que les tomates valaient dans un jadis récent la modique somme de « 5 à 10 dirhams ».

Sans vouloir verser dans un populisme à bon marché ou dans un misérabilisme de mauvais aloi, un écart de 5 dirhams est très important pour des ménages qui vivent avec le SMIC étique que l’on sait. Et c’est bien cela le problème avec les technocrates en général et ceux du gouvernement Akhannouch en particulier, ils sont bien plus en confort avec les milliards de dirhams qu’avec les « rials » des bonnes âmes. Sauf que pour notre population rurale ou urbaine encore ruralisée, c’est l’unité de compte en « rial » qui prime. Mme Fettah Alaoui est très certainement bien plus dans son élément avec le FMI que pour échanger avec des démunis.

Tout expliquer par le Covid ou tout justifier par la guerre en Ukraine ne passe plus. En revanche, lutter contre les spéculations ou même essayer de le faire, sérieusement, parlerait davantage à des populations qui, elles, savent ce qui se produit sur le terrain. Et c’est sur ce même terrain que le gouvernement Akhannouch est pris en défaut. Les ministres, tous ou presque ultra-diplômés, tous ou presque très compétents, manquent de cette culture de terrain qui fait un bon politique. Oh certes, tel n’est pas nécessairement le vœu des technocrates, mais tout de même… le problème avec les technos, c’est que n’étant pas politiques et encore moins élus, ils savent qu’ils n’ont qu’un seul mandat et après, ils gardent le...

titre ; ils ne sont donc que très peu enclins à parler au « peuple » à qui ils ne doivent rien et qui ne leur servira à rien à l’avenir.

Dans les autres pays, du moins ceux auxquels le Maroc s’identifie, en l’occurrence les démocraties occidentales, les responsables montent au créneau, répondent aux questionnements de leurs opinions publiques, animent des débats avec leurs opposants, expliquent les choses, promettent pour les plus audacieux des lendemains meilleurs et sont limogés en cas de défaillance. Au Maroc, rien de tel, hormis peut-être des questions de parlementaires et des réponses hors-sol de ministres déconnectés, lors de débats télé que bien peu d’irréductibles regardent encore.

Les choses se passent sur les réseaux sociaux et là, que voit-on aujourd’hui ? On voit que même les habituels défenseurs du gouvernement Akhannouch, dans sa frange technocratique, mettent désormais une distance avec lui. Il est vrai que le mécontentement augmente, que les gens habituellement compréhensifs deviennent pensifs, de plus en plus agressifs, et qu’un vent de révolte gronde. Le patron de l’ONU Antonio Guterres avait mis en garde contre des troubles sociaux à peu près partout, et il appartient au gouvernement Akhannouch de le démentir.

Et comment ferait-il ? En commençant par parler directement aux gens, et ne plus se contenter de venir de temps à autre au parlement pour égrener des milliards, y étaler son autosatisfaction, s’essayer à des piques politiques se voulant acerbes, mais dont il n’a ni l’habitude ni le charisme, ou lire un texte fade d’un ton neutre en ouverture de Conseil de gouvernement. Le chef du gouvernement est responsable, il doit donc faire montre de responsabilité, aller sur le terrain, rencontrer les petites gens, déployer les grands moyens, parler, exhorter avec vigueur ses ministres à aller au-devant des populations et les suivre avec rigueur, ainsi qu’il l’avait fait, naguère, quand il n’était que ministre et chef de parti avec l’ambition de devenir chef de gouvernement.

Aujourd’hui, il l’est, et ce n’est pas le plus important car plus important encore est de l’être en assurant la paix sociale, en taxant plus les riches qui se sont enrichis avec les crises pour que les pauvres encore plus pauvres du fait de ces crises paient moins ; il devrait prendre exemple sur son désormais « ami » Joe Biden… Ne pas réagir mais anticiper, ne plus promettre mais faire.

Peut-être que pour combattre cette dangereuse inflation, Ssi Akhannouch et ses technos devraient essayer avec le cœur, cela pourrait marcher !

Aziz Boucetta