(Billet 802) – Le calvaire sans nom et sans fin des mères divorcées

(Billet 802) – Le calvaire sans nom et sans fin des mères divorcées

Quand on parle de l’égalité entre les sexes au Maroc, l’une des premières idées qui vient à l’esprit est l’héritage, le point culminant de cette égalité. C’est noble, c’est valorisant et c’est sans doute vrai dans l’absolu, mais avant, les femmes divorcées vivent bien des problèmes dans leur vécu. Considérons par exemple les problèmes que causent des divorces dans les vies des mères et de leurs enfants. Un traumatisme collectif silencieux et des dégâts immenses à appréhender à l’avenir.

La Moudawana de 2004 a changé une quantité importante de choses dit-on, mais en réalité, elle aura juste servi à sortir les femmes de l’âge reculé où elles se trouvaient. Aujourd’hui au Maroc, la société a évolué et les femmes se sont autonomisées, du moins sur le plan personnel, mais les résistances sont là, importantes et impérieuses. Le Maroc compte près de 8,8 millions de ménages, et environ 1,4 million sont dirigés par une femme seule, mère célibataire ou divorcée. Ce sont donc des millions d’enfants qui vivent sans père, et ces millions d’enfants sont soumis à une législation qui les dépasse, souvent les fragilise, et parfois les détruit, mentalement, éducationnellement et financièrement.

On parle beaucoup de Moudawana, on se gargarise des efforts consentis par le Maroc, on se rengorge des avancées en matière de droits des femmes, quota et tutti quanti… On est bien trop souvent autosatisfaits, mais on oublie encore plus souvent ces souffrances muettes, ces déchirures qu’endurent les femmes, et principalement les mères divorcées qui voient leurs calvaires extraordinairement amplifiés par ceux de leurs enfants.

Une mère divorcée perd la garde de son enfant si elle se remarie ; la loi et la société lui donnent donc le choix effrayant entre sa vie de femme, sa féminité, et son rôle de mère. Elle est privée de passion, de sentiments, de sexualité, de vie. Une mère divorcée reste sous l’emprise, souvent vindicative et parfois brutale de son ancien mari pour changer d’adresse d’habitation, pour faire inscrire son enfant à une autre école, pour décider d’une opération chirurgicale pour cet enfant, pour voyager avec lui à l’étranger… elle ne peut souvent même pas ouvrir de compte d’épargne à ses enfants et les gérer, puisque c’est le père qui est le tuteur ! Au Maroc, lorsqu’une femme renonce à son statut de femme mariée, c’est pour plonger dans celui de mère célibataire, divorcée, qui doit continuellement expliquer à son enfant sans père que son père ne fait rien pour lui. Et l’Etat temporise, pendant que la société la stigmatise.

Elles sont des


centaines de milliers de femmes à vivre ce calvaire ; elles se libèrent dans des groupes ou communautés virtuelles, déroulant leurs vécus toujours poignants Avoir en charge leur enfant, devant travailler pour vivre, voire survivre, ayant la charge de l’éducation, seules, devant continuellement expliquer pourquoi le père n’est pas là et ne fait pas ce qu’il faut pour lui, devant répondre aux questions gênantes et ô combien douloureuses que seul un enfant peut poser et auxquelles aucune mère ne peut répondre sans se déchirer… Elles ne sont plus des mères ayant la garde de leur enfant, mais des nurses chargées de le garder, sans plus.

Ces mères divorcées doivent travailler, éduquer leurs enfants, s’occuper des tâches ménagères, ménager les pères, affronter la société. Quelle vie est-ce alors, que la leur ? Être avec un homme ou ne pas être, telle semble être la terrible équation pour ces femmes, dans un pays qui se veut évolué.

C’est la vie, la « mal-vie » d’un nombre incalculable de mères divorcées, tant il est vrai que bien peu de maris savent gérer un divorce à l’amiable, tant il est établi que divorce est synonyme de conflit, d’aversion, de torture mentale… des sources de conflits, de guerres infinies, avec les familles et contre l’opprobre sociale, où les enfants sont les innocentes et impuissantes victimes, avec leurs mères.

Et que fait l’Etat ? Il regarde ailleurs… et ses dignitaires ne semblent ni conscients ni concernés par ces malheurs. Le roi avait appelé en juillet dernier la classe politique à revoir la législation de la famille. Mais cette classe politique ne fera rien, elle en est tout simplement incapable. Sans une action royale claire et efficace, définitive et efficiente, il est à craindre que ces femmes divorcées, ces mères célibataires, ces enfants responsables de rien et innocents connaîtront encore et encore le malheur.

135.724 divorces ont été prononcés en 2021, 76.936 en 2020, 44.408 en 2014, 31.085 en 2009... On parle de 50.000 enfants nés hors mariage par an dans le royaume. Ce sont donc des centaines de milliers de femmes divorcées sans droits, autant d’enfants sans reconnaissance qui vivent parmi nous, dans notre indifférence. Une pensée pour eux, en attendant que les responsables pensent à eux.

Ainsi est l’esprit de la constitution, ainsi est la logique, ainsi est même la logique la plus élémentaire. A défaut de s’y inscrire, et à persister dans l’indifférence, ce sont les femmes d’aujourd’hui qu’on abandonne et ce sont les adultes de demain, enfants de parents de divorcés ou enfants sans père, qu’on sacrifie.

Aziz Boucetta