(Billet 794) – Maroc/France/Algérie, la lourde erreur de M. Macron dans sa lecture maghrébine
Le président français a accordé un long, très long entretien à l’intellectuel algérien Kamel Daoud, autour de l’éternelle question des relations passées, actuelles et à venir entre l’Algérie et la France, bâties sur le socle de leur longue et aussi mouvementée que tourmentée histoire commune. Cela est leur affaire, nous dirait-on, mais non, cela concerne aussi le Maroc car une Algérie officielle qui se sait et se sent écoutée par les Français, donc les Européens, est une Algérie officielle qui peut être dangereuse pour nous, Marocains.
Emmanuel Macron est à son deuxième et dernier mandat, et il est un homme lesté d’une extraordinaire confiance et assurance en lui-même. Il souhaite rester dans l’Histoire comme le président qui aura, sinon définitivement résolu « l’équation algérienne », du moins d’avoir été celui qui aura réussi à en poser les termes d’une résolution définitive. Pour cela, il a multiplié les actes et les actions, les petites phrases et les grandes envolées, les tâtonnements et les défis souvent faits de provocations. Un pas en avant, deux en arrière et trois en avant, dans une héroïque entreprise d’idéologisation de la relation historique et sociologique entre la France et l’Algérie. Qui est également, et en toute opportunité, il ne faut pas l’occulter, une occasion de faire diversion aux nombreux problèmes actuels de la société française.
L’Algérie fut, avec la terre de Palestine, le seul territoire à avoir été légitimement disputé par deux peuples, le français et l’algérien. L’idée finement glissée par M. Macron de l’existence d’une Algérie avant la colonisation ne réduit en rien cette réalité d’une terre partagée ; l'Algérie n'était pas une colonie, mais un territoire français. Et la fin tragique du conflit pour l'indépendance aura en toute logique durablement marqué les deux peuples.
Dans son entretien avec Kamel Daoud, le président français répond clairement – et un peu trop rapidement – par l’affirmative à la question de savoir si l’Algérie est un risque politique. Or lui-même, ne « risquant » politiquement plus rien, il est disposé à braver tous les dangers, précisant que cette question concerne 10 millions de Français ayant une relation intime avec l’Algérie, soit 15% de l’effectif général. Ce n’est pas rien, et c’est même beaucoup.
Ajouté à cela, même si c’est rarement dit et peu su, les relations moins avouables que M. Macron entretient avec le pouvoir algérien, du temps de sa première candidature et de ses contraintes financières, ainsi que cela avait été largement rapporté par la presse « alternative » et jamais démenti ni commenté par les médias conventionnels. Happés par la nouvelle configuration mise en place sur la scène politique française, ces médias se sont rangés, comme tant de politiques des deux camps traditionnels, aux côtés du président. Tout en le critiquant et lui portant la contradiction, ils ne l’ont jamais véritablement combattu pour autant. Une nouvelle France est née, affichant un visage inédit, et portant les résultats qu’on sait en Afrique, suite à l’action d’un président « impérial » qui utilise trop souvent le terme ‘refoulé’ pour que cela soit anodin dans sa pensée profonde.
Son présent étant assuré, et lui-même se sentant ainsi rassuré, Emmanuel Macron se jette corps et âme dans son entreprise de résolution de la question algérienne. Pour cela, il s’empêche de voir ce qu’est réellement le régime politique de ce pays, militaire, clanique, brutal, revanchard, dominateur en interne et condescendant en Afrique, et animé
d’un puissant et éternel ressentiment « mémoriel » à l’égard de la France. M. Macron veut entrer dans l’Histoire à venir et, dans ce but, il minimise les effets de l’Histoire passée et occulte les réalités présentes. Il s’expose à présenter, sans le dire clairement, des regrets voire des excuses à un système politique qui en demandera toujours plus.
Et le Maroc ? La relation puissamment antagonique que le royaume entretient avec l’Algérie s’est crispée depuis les deux événements majeurs que furent l’émergence de l’ère Macron en France et la fin de la période Bouteflika en Algérie. L’un et l’autre de ces deux événements allaient fortement altérer une relation régionale maghrébine suffisamment fragile et volatile pour devenir explosive. Et M. Macron tutoie cette potentielle explosion, très certainement sans le vouloir, mais encore plus sûrement sans le comprendre.
La triangulation Maroc-France-Algérie n’est jamais neutre, et si un équilibre avait su et pu être maintenu des décennies durant par des présidents français conscients et fins connaisseurs de la grande Histoire et des petites histoires, le volontarisme précipité du locataire actuel du palais de l’Elysée l’aura fait voler en éclats. Cela est d’autant plus important si on garde à l’esprit le nombre de 10 millions de Français ayant une relation avec l’Algérie, et si on y ajoute les Marocains, cela fait 20% de la population française, ce qui explique la « radicalisation » de la classe politique hexagonale et la bascule de plus en plus ouvertement « raciste » d’une partie de sa population et de ses médias.
Emmanuel Macron dit que « la France ne peut se penser sans l’Algérie » et inversement. Or, il est le président de la France, qu’il veut « penser ». Ayant intimement lié les sorts et les devenirs de la France et de l’Algérie, il doit concentrer son attention sur la seconde. Dans cette triangulation France-Maroc-Algérie, il n’aura pas tant « choisi » l’Algérie que la France mais dans les deux cas, il occultera le Maroc qui ne présente pas autant d’intérêt pour le pensé et l’impensé en France. Et si le Maroc maintient sa position sur la définition de ses relations et partenariats à l’aune du Sahara, et étant entendu que M. Macron, pour penser la France, devra penser l’Algérie, il ne s’engagera pas dans la direction voulue par le Maroc.
Les relations entre Rabat et Paris connaîtront pour au moins les quatre ans à venir un éloignement profond, un creux abyssal. Le Maroc devra, quant à lui, pendant ce temps, par prudence et par vision stratégiques, se penser autrement, et se penser hors de la France, du français, de la culture et de l’économie françaises. Cela sera brutal, cela passera par le politique, puis l’économique, et fatalement le culturel. Et la très hypothétique visite d’Emmanuel Macron au Maroc, si elle vraiment lieu, n’y changera rien.
M. Macron commet l’erreur historique de s’arrimer et de soumettre son pays à un régime militaire, forcément éphémère, rejeté par son propre peuple, suscitant la méfiance sur le continent africain ; il s’éloigne de ce fait d’un autre pays qui, malgré ses manquements et ses défaillances, s’inscrit dans une continuité historique et plonge résolument dans sa profondeur africaine et dans ses racines arabes. Dans les cinq ans à venir, la configuration franco-maghrébine sera très profondément altérée, significativement et durablement bouleversée du fait des erreurs de jugements et des errements « refoulés » du président français.
Aziz Boucetta