(Billet 792) – Le Maroc devrait-il s’inquiéter de la Françalgérie ?

(Billet 792) – Le Maroc devrait-il s’inquiéter de la Françalgérie ?

Il est temps de revenir sur ces relations entre les deux voisins que tout unit mais qui sont désunis, que tout rapproche et qui demeurent si éloignés, le Maroc et l’Algérie. Jusqu’à ces dernières années, l’hostilité était « gérable », chacun parant les coups de l’autre, usant des nombreuses ficelles diplomatiques ; mais depuis l’arrivée du président Abdelmajid Tebboune, l’hostilité menace de basculer en hostilités et avec une étrange « caution » française, l’avenir s’annonce sombre.

La tension augmente singulièrement depuis deux ans, depuis cet été 2021 où, prenant prétexte d’une des ‘ficelles diplomatiques ‘ utilisées par le Maroc, en l’occurrence l’allusion aux Kabyles faite par l’ambassadeur marocain Omar Hilale, Alger se crispe, accusant le Maroc de tout et de rien, ne s’embarrassant même pas du seuil minimal de crédibilité que requiert toute action politique ou diplomatique. Et, en août de la même année, Alger rompt les relations diplomatiques puis ferme l’espace aérien aux aéronefs marocains.

Le pouvoir algérien, concentré sur la situation interne de son pays et tout à la recherche d’un danger extérieur pour tenter une vaine mobilisation autour de lui ou, au moins, se permettre une justification de son animosité à l’égard de Rabat, donne le sentiment de gravir un escalier de la tension, qui mène vers le point de non-retour, le conflit ouvert.

Dans une récente interview de M. Tebboune accordée au quotidien français le Figaro, le président algérien dit ceci : « Nous avons rompu nos relations diplomatiques avec le Maroc pour ne pas faire la guerre » ! Le mot est prononcé, et il indique et implique qu’il y a eu une « réflexion » autour de la question. Le Maroc devrait-il s’inquiéter, sachant que le budget militaire algérien réalise un bond inquiétant de plus de 110%, passant de 10 milliards de dollars environ à près de 23 milliards, avec un ratio PIB doublant d’une année sur l’autre, de 5,8% à 12% ? On sait que la nouvelle constitution algérienne autorise désormais l’armée à intervenir en dehors des frontières et, dans le même entretien, Abdelmajid Tebboune explique aussi la rupture des relations avec le Maroc par le fait de « l’agression des forces spéciales marocaines pour prendre une partie de notre territoire dans l’extrême sud ». Aussi faux qu’inquiétant.

Ce régime se prépare résolument à la guerre.

Il n’y a plus que la raison qui pourrait empêcher cela. Mais quelle raison accorder à un régime qui multiplie les actes et actions irrationnelles, voire puériles ? Empêcher par tous les moyens, même sonores, le chef de la diplomatie marocaine d’accorder des entretiens à la presse lors du Sommet arabe d’Alger en novembre ; interdire de prononcer le nom du Maroc dans les médias officiels algériens, et limoger ceux qui contreviennent à cet ordre ; oser le tour de force ( et braver le ridicule) de ne pas citer le Maroc lors des couvertures médiatiques du Mondial de Qatar ; rayer le Maroc du palmarès de la compétition CHAN que l’Algérie doit accueillir dans les prochains jours, sachant que le royaume est le double tenant du titre…

Bien évidemment, de son côté, le Maroc s’arme et se protège, multipliant les alliances...

et diversifiant ses approvisionnements pour ne pas être dépendant de son partenaire traditionnel, l’UE, imprévisible et étonnamment imprévoyante. Comment accorder un quelconque crédit à une Commission européenne qui persiste à maintenir ce foyer de tension à ses frontières méridionales, en donnant crédit à la version d’un régime algérien qui se dit « neutre » mais qui n’hésite pas à faire chanter – c’est le mot – tout pays qui se rapproche du royaume ? Comment maintenir une confiance à une Union européenne qui insiste sur une solution « mutuellement acceptable » pour le Sahara, alors même qu’elle sait qu’Alger n’acceptera rien d’autre que l’indépendance de cette région du Maroc, à laquelle le Maroc ne renoncera jamais ? Comment reconnaître une intelligence géopolitique à un ensemble continental qui s’aliène son flanc sud africain alors qu’il est en guerre sur son versant nord ?

Il reste la singulière « question française ». Ancienne puissance coloniale dans la région, sachant qu’elle n’a colonisé ni le Maroc ni l’Algérie, le premier ayant été protectorat et la seconde territoire français, elle a toujours tenu un rôle ambigu, ignorant l’Histoire séculaire mais laissant faire la politique éphémère. Et la situation s’aggrave avec l’actuel président Emmanuel Macron qui a une cruellement fausse lecture historique, diplomatique et géopolitique, mais qui campe sur ses positions ; il mène son pays dans une dangereuse impasse en s’accrochant à une Algérie revancharde, et dirigée par un régime militaire de plus en plus brutal, dissimulé derrière une façade civile bien moins subtile et structurée que ne le fut le système Bouteflika. Son objectif semble d’amadouer les Algériens de France, mais encore faut-il les écouter et les comprendre.

M. Macron a voulu gagner l’Algérie en ne perdant pas le Maroc. Méconnaissant les subtilités diplomatiques, refusant les conseils et faisant une mauvaise lecture des nouvelles réalités géopolitiques, il va perdre Alger en ne gagnant pas Rabat, bien plus fiable, stable et sûr, comme le montre sa visite dans le royaume régulièrement repoussée, qui devrait se tenir en principe avant mars et qui ne débouchera sur rien si elle se tient. Le Maroc jeune, social et politique, a déjà l’esprit ailleurs qu’en France, et le Maroc économique l’y rejoint à grands pas.

Dans sa politique maghrébine, Emmanuel Macron évolue dans la contradiction. En optant pour l’Algérie, il affaiblit singulièrement son discours ukrainien. En effet, il supporte le régime algérien qui, en se surarmant, renfloue considérablement les caisses d’une Russie qui a un sérieux besoin de finances et de débouchés, la même Russie en pleine guerre contre l’Ukraine, laquelle est supposée être défendue par la France du même Macron. Et le même raisonnement peut s’appliquer pour l’Union européenne.

Quant au Maroc, tout en gérant le quotidien avec l’UE et Paris, il est désormais contraint de réfléchir sur les moyen et long termes et chercher d’autres alliances, de nouveaux arrimages, encore plus qu’il ne le fait déjà, dans une perte de confiance de plus en plus marquée avec la France, dans une méfiance affichée à l’égard de l’Europe, mais dans une projection vers d’autres régions du monde. Elles sont tout aussi peu fiables, mais elles sont diversifiées.

Aziz Boucetta