(Billet 789) – L’extraordinaire, irrésistible et irréversible vitalité de la société marocaine
Les trois pouvoirs classiques vivent plus ou moins et fonctionnent cahin caha ; le 4ème, clamé et proclamé en tant que tel pour la presse et la grande famille des médias, a vécu, bouge encore et essaie de survivre. Et nous assistons à un autre pouvoir, à double détente, une révolution technologique doublée (ou aggravée pour les autres pouvoirs chancelants) d’une relève démographique faite de gens jeunes intransigeants.
Ignacio Ramonet, et d’autres avec puis après lui, ont présenté ce nouveau pouvoir, celui de la combinaisons du web et de l’opinion publique, comme le 5ème pouvoir, ce qui est exact ; mais un web porté par une opinion publique inerte, peu ou pas créative et passive n’est pas un pouvoir, seulement une illusion de pouvoir. A l’inverse, si la société est active, quand la vox populi sait se montrer vindicative, alors cette force devient effective, sans doute même agressive.
Revenons à nous autres, ici, au Maroc… Il s’est indéniablement produit quelque chose avec ce Mondial, tous les sociologues présents le constateront et les historiens futurs en attesteront. Plus que cette explosion de joie collective qui aura duré, quand même, trois semaines, plus que ces millions de personnes de toutes les tendances et de tous les courants qui sont sorties dans les rues, et plus même que cette image aussi inédite que puissante du chef de l’Etat, roi et Commandeur des croyants, en tenue rouge et verte dans les artères de la capitale, ce sont ces valeurs portées par tous qui auront frappé et durablement marqué les esprits. Tout cela ne peut s’éteindre.
Incontestablement, le Maroc d’avant le Mondial n’est plus le même que celui d’après, que celui d’aujourd’hui et de demain. Le monde a appris qu’il existe un pays qui s’appelle le Maroc, et qui est particulier, et les Marocains ont compris qu’ils existent, désormais, en tant qu’entité qui compte. En face, le vide… le vide politique, le politique qui continue d’agir comme avant et de ne pas réagir, comme toujours.
En l’espace de deux semaines, deux événements se sont produits, qui montrent qu’un changement s’installe : l’affaire des billets du Mondial (Fouzi Lekjaâ n’a encore que quelques jours avant d’annoncer ses mesures) et celle de l’examen d’accès à la profession d’avocat. Les deux ont extraordinairement mobilisé
sur les réseaux sociaux, et les médias ont relayé, et relaient toujours, les rebondissements. Et n’oublions pas les prémisses de cette mutation, incarnées voici quelques années par le fameux boycott et encore plus loin par l’affaire Galvan.
La niya et autres valeurs ont percé ces dernières années, à bas bruit, et aujourd’hui elles se tiennent et se maintiennent haut et fort. Oh, il est certes plus facile d’exiger que de décider ou de diriger, mais quand on paie des impôts (et le fisc s’est arrangé pour qu’ils soient payés, plus et par plus de monde) et quand on vote, on est en droit d’exiger ! Et c’est aussi utile et salvateur qu’irréversible.
Il existe une autre particularité dans ce pays, le concept de la révolution du roi et du peuple. Entre ces deux entités, il existe les pouvoirs, les trois pouvoirs classiques qui, eux, demeurent plongés dans leur habituelle léthargie. La communion qui s’est produite entre le roi et les Marocains lors de ce Mondial devra se matérialiser, tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre. La colère inhabituelle de M. Lekjaâ lors de la réunion du Bureau directeur de la Fédération de football et le recul remarqué de M. Abdellatif Ouahbi, qui a présenté (manifestement à contrecœur) ses excuses à la télévision, montrent que quelque chose de différent se déroule sous nos yeux, et que ces deux événements auront des suites, inédites.
Tout cela pourrait se révéler finalement comme un simple vœu pieux, ou se réduire à un rêve qui sera interrompu, brutalement, par l’irruption du quotidien, ses contraintes et ses angoisses. Mais cela serait dangereux car la déception qui en sortirait, la désillusion qui en résulterait pourront déclencher un mouvement de colère et une vague de défiance, dommageables pour l’avenir proche et lointain de ce pays qui n’est pas encore sorti, ne l’oublions pas, d’une crise sanitaire longue, et qui entre dans une phase de turbulences économiques aussi longue.
L’alternative est donc simple : prendre appui sur l’extraordinaire vitalité de notre société, ne plus insulter son intelligence collective et triompher des incertitudes actuelles, ce qui implique un changement de comportement (et de casting) de nos gouvernants, ou perdre pied, avec un grand bond en avant vers…l’inconnu. C’est aussi simple que cela.
Aziz Boucetta