(Billet 782) – Et si on reparlait, maintenant, de nos « binationaux »
Le Mondial particulièrement réussi du Qatar doit nous conduire à (ré)ouvrir la discussion sur les binationaux. La société marocaine est coutumière de ces polémiques récurrentes sur la binationalité, la double allégeance, la loyauté, la confiance... Mais, ces binationaux, si souvent décriés, ne sont-ils finalement pas les mêmes que ceux que l’on désigne communément par les « Marocains du monde », unanimement loués ?
Lors de cette coupe du monde, personne, absolument personne n’a soulevé la question, pour les joueurs. Ils avaient fait unanimité, leurs mères aussi, leurs pères également, leurs choix et lieux de vie, et même quand certains s’expriment dans une darija « chantante », personne n’y trouve rien à redire. Ils ne sont pas là pour parler mais pour faire valser le ballon, et le ballon a valsé, ô combien !
En revanche, il y eut polémique autour du cas de Jamal Debbouze, mais lui, c’est une autre affaire. Il a d’abord été « desservi » par le choix clair et limpide de son ami et collègue Gad el Maleh, qui a été plus clair, et ensuite, M. Debbouze a eu la malchance d’arborer les maillots des deux équipes qui allaient s‘affronter ce mercredi soir, au paroxysme de la passion particulière qu’il peut y avoir lors d’un match Maroc-France. En fait, Jamal Debbouze aurait été mieux inspiré de ne rien dire… En choisissant les deux, il devait s’attendre à décevoir alternativement les deux.
Revenons aux binationaux et posons la question de savoir si on est vraiment marocain quand on porte une autre nationalité ? Ziyech répond : « Bien sûr que je reverserai mes primes à des associations, je n’ai pas joué pour l’argent mais pour mon pays, le Maroc ». Quelle autre réponse, plus belle, pourrait-on rêver ? Mais au-delà du rêve, la réalité de la loyauté et de l’affection au Maroc, qui n’ôte rien à l’attachement à l’autre nationalité. C’est possible, et nous l’avons tous vu, nous en avons tous témoigné en vibrant avec nos jeunes, en dansant par millions à chaque but, en tressaillant par centaines de milliers à chaque attaque adverse. Tout cela ne peut tromper, les Espagnols, Français, Bataves qui portaient les couleurs du Maroc étaient avant tout et par-dessus tous, tous Marocains.
Pourquoi va-t-on alors, quand on est Marocain, chercher une double nationalité ? Par confort administratif, par nécessité économique et aussi par souci de sécurité judiciaire (oui, il faut l’admettre). C’est donc dans les failles de notre société qu’il faut chercher l’explication, dans une économie poussive avec peu d’opportunités pour des formations de plus en plus pointues, dans une insécurité judiciaire que de plus en plus de gens appréhendent, relevée même dans le rapport du Nouveau modèle de développement. Qui
peut donc reprocher à quelqu’un de chercher une vie meilleure, en « renforçant » sa nationalité marocaine de cœur par une autre, de raison, puis de cœur aussi ?
La « marocanité » renferme donc deux catégories, ceux qui ne disposent que de la citoyenneté marocaine et ceux qui en ont une autre. Combien sont ceux de la première catégorie à vouloir basculer dans la seconde, honnêtement ?... et dans cette seconde catégorie, il y a les binationaux « natifs » ou ayant acquis cette autre nationalité dans leur enfance et qui n’en sont donc pas responsables, tout en la conservant plus tard, la respectant, la considérant. Ce sont les binationaux, les Marocains du monde, des Marocains avant tout. Ils sont cinq millions, six si on y ajoute les Marocains juifs d’Israël. Ils sont notre relais dans le monde, ils font notre force, notre notoriété… souvent notre fierté.
Et il y a également ceux qui ont acquis une autre citoyenneté, par acte volontaire et réfléchi, par souci économique ou de sécurité. Peut-on raisonnablement leur retirer leur attachement à leur patrie originelle ? Peut-on valablement leur opposer la question de la confiance ? Existe-t-il des critères pour mesurer la force de l’attachement et estimer le degré de la confiance ? Ces gens sont nos expatriés à nous. Ils sont des migrants aux termes de la définition admise en droit international et non selon la charge politique extrémiste, populiste et souvent raciste qui leur est donnée principalement en Europe. Et puisque la polémique a porté sur le fait de les désigner à de hautes fonctions, où la question de confiance se pose, le fait même de les désigner à ces hautes fonctions implique un niveau de responsabilité et de conscience où la question de confiance ne se pose pas !
Il est impossible de perdre sa nationalité marocaine par voie de droit, le Maroc ne fabrique pas d’apatrides, et aucun Marocain (hormis quelques exceptions dont le cas relève de la psychiatrie) ne souhaite se défaire de sa nationalité, qu’il soit porteur d’une ou de plusieurs autres. Il est donc temps de renoncer à cette polémique aussi inutile que stérile sur les « binationaux », terme porteur d’une connotation négative, et ne conserver que l’expression « Marocains du monde », désignant plusieurs millions des nôtres à l’extérieur de nos frontières, et qui méritent – et reçoivent – toute l’attention et les égards de nos autorités publiques.
Quand le roi donne ses instructions pour les « Marocains du monde », quand Nasser Bourita en parle abondamment, quand Aziz Akhannouch multiplie les réunions autour, ils pensent également aux « binationaux » qui peuvent, par définition et par nature, être ici, là ou là-bas.
Aziz Boucetta