(Billet 780) – France/Maroc, une profonde incompréhension... que ne comprend pas la France

(Billet 780) – France/Maroc, une profonde incompréhension... que ne comprend pas la France

La ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères Catherine Colonna était cette fin de semaine au Maroc avec son homologue Nasser Bourita, dans le cadre d’une visite de travail attendue, et donc forcément scrutée eu égard aux relations particulières entre Paris et Rabat. Ces relations sont au plus bas depuis quelques mois, après avoir été plutôt mauvaises ces dernières années, en comparaison à ce qu’elles furent avant. La visite a-t-elle amélioré quelque chose ? Rien n’est moins sûr.

Lors de leur conférence commune, les deux ministres ont parlé, chacun à sa manière, chacun dans sa sensibilité, chacun avec ses priorités. Il en ressort que la glace n’est pas brisée, loin s’en faut, entre les deux Etats, et que même la visite du président Emmanuel Macron au Maroc, évoquée quelques fois par M. Bourita, beaucoup plus par son homologue, n’est pas sûre de se produire. Quels messages retirer, et retenir, de la conférence de presse commune Catherine Colonna/Nasser Bourita ?

1/ La forme. Un Nasser Bourita froid, tel qu’il sait l’être, le sourire rare, ou contraint, faisant une courte allocution en arabe (il avait parlé allemand avec la cheffe de la diplomatie allemande), se contentant de généralités de circonstance, ne se dévoilant pas, à raison prudent, voire méfiant. A la fin de la conférence, il quitte son pupitre sans serrer la main à son homologue, ce qu’il avait fait avec Antony Blinken. M. Bourita n’est jamais aussi bon que quand il souhaite manifester son exaspération, et hier, il était excellent. Et son homologue, dans sa longue prise de parole, un peu confuse et se voulant "complice", ne semble pas l'avoir compris.

2/ Le fond. Mme Colonna est venue au Maroc parce que la France a décidé de régler la crise avec le Maroc, voilà. La France a accepté de mettre fin à sa politique de restriction des visas et elle veut sécuriser sa relation avec le royaume, « la plaçant pour les décennies qui viennent », revoilà. Mais Mme Colonna n’est pas venue les mains vides puisque, porteuse de « bonne nouvelle », elle a annoncé la reprise des activités consulaires normales ; « c’est fait ! », lança-t-elle, le geste en appui, à son auditoire. Merci infiniment, mais les Marocains se sont dans l’intervalle habitués, et ont trouvé d’autres solutions... Quant à l’affaire du Sahara, Mme Colonna en a parlé, rappelant la position de son pays, « claire et constante ».

Nasser Bourita a répondu à tout cela, en se retenant de commenter encore une fois la politique des visas, « une décision souveraine de la France », se contentant de répondre à l’emphatique « c’est fait » par un sobre et sombre « tant mieux ». Puis il a un peu soliloqué sur le partenariat, alors qu’on le sait plus enthousiaste quand cela se doit. Et sur le Sahara, il a opposé à la « constance » de la position française la nécessité de « l’adaptation et de la rénovation » des positions diplomatiques au vu des mutations des contextes géopolitiques. Comprenne qui pourra, ignorera qui voudra…

Que retenir de ce qui semble avoir été un lourd dialogue de sourds ? Que l’opinion publique marocaine ne devrait pas se réjouir de la fin de la restriction aux visas car ce n’est qu’un retour à une situation antérieure, elle-même décriée car déjà fortement restrictive,...

et contrevenant au droit international. Comme les autres Schengen, la France érige des barrières pour la délivrance des visas et sous-traite au privé les procédures administratives, raflant au passage les données personnelles des demandeurs qui n’ont pas le choix, et cela doit changer, pour tous ces pays… Mais contrairement aux autres Schengen toujours, la France a montré qu’elle utilise le visa comme une arme de punition collective et un levier de pression sur l’Etat. Ce n’est ni amical, ni légal, ni rassurant pour l’avenir. Les Marocains (officiels ou non) ne devraient pas oublier cela, encore moins s’ils se souviennent de la satisfaction d’Emmanuel Macron à Djerba, en novembre, se félicitant que « le coup de chauffe des derniers mois a eu de l’effet », faisant allusion du chantage au visa… Une population, fût-elle africaine, ne peut être prise en otage par la volonté d’un homme, fût-il président. Et quand le chef de l’Etat français avait parlé « de tous les pays qui avaient laissé des PCR au retour (des irréguliers) les ait levés », on ne peut que souhaiter que Rabat n’ait pas cédé à ce chantage…

Pour l’affaire du Sahara, il faut opposer la position « constante », « qui ne change pas », de la France dans ce dossier, ainsi que « clairement » rappelé par Mme Colonna, à cette désormais fameuse phrase du discours royal du 20 août 2022 : « Le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit ». Alors, à moins que le Maroc ait dans l’intervalle changé cette logique, ou qu'il considère avoir placé la barre trop haut, on ne voit pas comment « les relations sur 10 ou 20 ans, ou au moins pour la prochaine décennie », appelées de ses vœux par la ministre française, pourraient se concrétiser… même en cas de visite de Macron dans le royaume. Si elle a vraiment lieu…

Lancée dans un salmigondis de banalités diplomatiques sur le Sahara, Mme Colonna et ses collaborateurs ont dû relever la distance prise par M. Bourita sur cette question, en indiquant que ce sujet « n’est pas dominant dans les discussions »… sans doute une manière de vérifier ce dicton arabe « si les choses sont claires, nul besoin de répéter », en référence à cette profession de foi royale du mois d’août. Tant que la France reste dans sa zone de confort, qu’elle continue de vouloir ménager le Maroc sans offusquer l’Algérie, jouant l’un contre l’autre et inversement (alors que Mme Colonna est à Rabat, M. Darmanin est à Alger...), qu’elle ne révise pas sa myopie géopolitique, alors il n’est même pas, même plus, nécessaire d’évoquer cette question du Sahara avec elle.

Le Maroc, mieux campé sur ses positions diplomatiques conquises et plus sûr de lui avec son nouveau statut géopolitique, n’a plus ce besoin vital de l’aide (par ailleurs largement monnayé) de la France du (et au) Conseil de Sécurité. Paris ne l’a pas compris car Emmanuel Macron insiste dans sa « légèreté africaine », s’incruste dans ses erreurs géopolitiques, et persiste à être entouré de collaborateurs peu aptes à incarner ce que fut la France d’avant.

Aziz Boucetta