(Billet 773) – 100.000 détenus, dont la moitié en préventive, c’est trop…

(Billet 773) – 100.000 détenus, dont la moitié en préventive, c’est trop…

Voici un an et demi, en mai 2021, il y avait 85.000 détenus dans nos prisons. Aujourd’hui, à en croire le rapport de la Direction de l’administration pénitentiaire, et il n’y a pas de raison de ne pas le croire, ils sont environ 100.000 personnes à être derrière les barreaux, dont un peu moins de la moitié en détention préventive. Autrement dit, sur 100.000 personnes, la moitié sont présumées innocentes, puisqu’en préventive et en attente de jugement, avec en principe une présomption d’innocence ! 43% en septembre 2022, contre 36,3% à la fin du mois de mars 2019…

Dans la région ouest-méditerranéenne, le Maroc, autoproclamé « berceau des hommes libres (Manbita al Ahrare) » comme cela est chanté à tue-tête dans les stades qataris et autres fan zones dans le monde… le Maroc, donc, dans cette région, détient le triste record du taux d’incarcération (population incarcérée par 100.000 habitants) le plus haut : Italie, 90, France, 96, Espagne, 118, Maroc, 230, Algérie, 151, Tunisie, 194, Malte, 195, Portugal, 112, Mali, 37… La moyenne de la détention préventive dans le monde est de 25% environ, mais chez nous, les hommes libres donc, il est de près de la moitié, un petit double, quoi…

Qui est responsable de cette situation ? Pas la Délégation générale de l’Administration pénitentiaire et à la réinsertion, ou DGAPR qui, elle, est en charge du bien-être (tout relatif par ailleurs) des prisonniers, pas du fait qu’ils le soient. Qui en est responsable alors ? Ceux qui jugent nécessaire de les garder sous les barreaux en attendant le jugement définitif et ceux qui les jugent, tout court. Les procureurs et les juges, donc, mais pas seulement eux, puisque les responsables de la politique pénale, les gouvernants, le gouvernement, son chef et son ministre à la Justice, sont également responsables des embastillements du fait qu’ils n’aient pas encore amendé le Code pénal ni même pensé à réfléchir à la philosophie pénale qui doit préluder à toute réforme pénale. Dans l’intervalle, des gens croupissent…

Cela fait beaucoup de monde. Et ce monde a sur la conscience la privation de liberté pour des gens innocents mais en préventive… pour des gens en préventive et dont la préventive s’allonge en raison des procédures pénales et, disons-le, de l’indifférence de tous, … pour des gens coupables de quelque chose mais dont la sanction pourrait ne pas


être une privation de liberté, …et pour des gens encore en prison pour un délit commis et qui ne devrait pas leur valoir autant de temps dans un pénitencier. Et là aussi, cela fait du monde, oui…

Pourquoi tant de détenus en préventive alors ? Deux explications possibles. Ou bien les procureurs qui embastillent en préventive et refusent la liberté conditionnelle ont tort, abusent de leur pouvoir et devraient alors être recadrés par leur hiérarchie, bien plus consciente qu’eux des enjeux, semblerait-il du moins… ou bien ils ont raison, et ils doivent pour la sécurité et le bien-être de tous, enfermer les gens, et alors, cela signifie que le Maroc a un sérieux problème à sa population, plutôt mauvaise, et qui justifie autant d’incarcérations. Mais rassurons-nous, les chiffres disent le contraire : En 2019 en effet, 66% des détenus l’étaient pour moins de deux ans, justifiant la mise en place rapide du système du bracelet électronique ou des peines alternatives pour éviter les emprisonnements et l’ensemble des dégâts sociaux et économiques qui vont avec. Quand on est condamné à moins de deux, il faut généralement et le plus souvent chercher la raison de l’acte dans la situation socio-économique…

Dernier point… en 2021, pour tordre le cou à cette idée que des innocents pourraient se trouver en préventive, le président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire Mohamed Abdennabaoui avait dit que seulement 2% des personnes en détention préventive sont libérées et environ 90% sont condamnées à des peines privatives de liberté. Fort bien, mais combien de personnes innocentes sont-elles condamnées à ce fameux « bima qada », c’est-à-dire à la période déjà écoulée en prison, évitant la demande de réparations ? M. Abdennabaoui devrait demander des statistiques… car mettre des gens en prison nécessite de construire des pénitenciers, et donc faire des arbitrages budgétaires, et donc priver les populations de choses utiles pour ériger des prisons pour des gens qui pourraient ne pas y être...

En un mot, comme en cent, un Etat qui se respecte respecte d’abord pour sa population, et un Etat qui respecte sa population n’affiche pas autant de chiffres pénitentiaires, accélère ses réformes pénales, forme et « norme » ses juges, ne laisse la prison qu’en dernier recours et multiplie les recours pour l’éviter.

Un pays qui se contente de slogans creux est dans le cas contraire.

Aziz Boucetta