(Billet 770) – Une victoire, pour changer un peu…
(Billet 770) – Une victoire, pour changer un peu…
Et ainsi donc, la sélection marocaine de football a nettement battu son homologue belge, dans un stade quasiment marocain, et sur le score sans appel de 2-0, avec 3 buts marqués. Soit. La joie fut immense partout où il y a du Marocain, au Maroc, en Europe, au Qatar, En Amérique, dans le monde, et c’est normal, car c’est inhabituel que le Maroc gagne…
1/ La joie, mais pas encore le bonheur, la fierté, mais pas encore l’assurance… Explosion de joie dans les chaumières et les boulevards, les stades et ailleurs, partout dans le monde. Le Maroc remporte son premier match en Coupe du monde depuis 1998, car depuis 1998, le Maroc du foot international est parti de déception en humiliation, de sélectionneur en gaspilleurs, de grands espoirs en rudes déboires…
Mais, pour autant, joie ne signifie pas bonheur, et pour deux raisons… la première est que pour que le bonheur s’installe, il nous faudra voir notre équipe confirmer son résultat « belge », affirmer cette « mentalité de gagnant » qu’on lui prête et qu’elle mérite certes, en attendant qu’elle devienne sa nature profonde et non seulement au gré d’un match ou d’une compétition. La seconde raison est que cette joie a explosé alors que le pays, la société et la population traversent des moments difficiles, comme les autres contrées dans le monde, et comme les autres contrées dans le monde, les manifestations de joie sont trop excessives pour ne refléter que la réaction à un match de football.
Par ailleurs, fierté n’est pas assurance… Nous sommes fiers d’avoir battu la Belgique, mais dans cette fierté réside un sentiment d’infériorité, qui doit être à son tour vaincu, pour s’installer dans le club des grandes équipes, craintes et respectées, sûres d’elles même en cas de défaite, et non ces équipes que l’on encense, comme on encense aujourd’hui le Maroc, d’avoir été le petit qui a vaincu un grand…
2/ Une victoire 100% marocaine. Bien que la sélection nationale marocaine soit une mosaïque de nationalités et un patchwork de langues, et même si la plupart de ses joueurs n’évoluent pas sur le sol national, elle reste résolument marocaine, plus qu’elle ne l’a jamais été auparavant. Le résultat d’une alchimie particulière, combinant la nationalité et la personnalité aussi sympathique que charismatique et technique de Walid Regragui
avec la présence d’un public d’un genre nouveau… disparate et rieur, mixte et gouailleur, civique et espiègle, et surtout derrière son équipe et convaincu par son sélectionneur. En effet, rarement un coach aura été aussi unanimement plébiscité que M. Regragui, et cela explique très certainement le reste…
Le président de la Fédération reste en retrait, et le ministre aussi ; c’est le sélectionneur et les joueurs qui sont mis en avant, et le public n’en demandait pas plus, surtout avec les résultats qui commençaient à apparaître depuis plusieurs mois. Le pouvoir politique a su écouter les demandes de la population pour un sélectionneur marocain en général, pour Walid Regragui en particulier qui, avec son accent inimitable, a su conquérir les cœurs du public et mobiliser les talents de ses joueurs.
3/ Patriotisme. Comme à chaque grande occasion, les peuples expriment leur attachement à leur pays, défendent leur appartenance et expriment leur fierté. Cette propension au patriotisme est d’autant plus forte que la nation est ancienne et que les liens sociaux sont puissants, et chaque culture a ses moyens propres pour l’exprimer.
La dernière fois que le Maroc a connu un tel engouement sportif remonte à 1986, voici 36 ans… Ils sont 20 millions de Marocains qui n’étaient pas encore nés ou qui étaient encore trop jeunes pour se souvenir. Pour les autres, ils étaient étreints par une nostalgie sans cesse exacerbée et une fierté sans cesse refoulée, au mot continuellement répété de « élimination », « élimination », « élimination »…
Au Maroc, la société est aussi réfractaire et rebelle qu’enthousiaste et fière. Ces deux dernières années, les Marocains ont eu à exprimer deux fois leur fierté, la première pendant la période Covid (gestion de la pandémie, action publique et vaccination) et la seconde ce dimanche avec le succès de l’équipe nationale. Une fierté et une joie collective bien méritées et ayant d’autant plus de valeur si l’on considère la morosité politique ambiante et les sombres perspectives qui s’annoncent.
Walid Regragui et ses garçons auront su, un instant, un jour, un mois peut-être (espérons-le) renverser la tendance en insufflant ce sentiment de fierté, de joie, de bonne humeur, de succès qui nous faisait tant défaut, et qui nous manque encore plus et si cruellement depuis quelques mois… Espérons que cela dure et osons rêver à voir cela s’étendre à autre chose que le foot…
Aziz Boucetta