(Billet 736) – Marocains du monde, une « 13ème Région » peu exploitée
Ils sont environ 5 millions de Marocains vivant dans le monde, selon le dernier recensement du HCP en 2014, auxquels s’ajoutent les quelques 800.000 Israéliens d’origine (et de) nationalité marocaine, sur une population locale de près de 37 millions d’âmes. Cela fait 15% de nos compatriotes qui vivent en dehors de nos frontières. S’ils ne deviennent pas une force, ils seront notre faiblesse.
Presque 100 milliards de DH, presque le dixième du PIB national, c’est indéniablement une force, et une force qui peut encore augmenter, qui augmentera encore. Mais est-ce la seule ? Assurément non. On l’appelle même « la 13ème Région » du Maroc, et dans ce cas, elle serait parmi les plus rentables et les plus talentueuses.
Mais notre communauté à l’étranger constitue-t-elle vraiment une diaspora ? La question mérite d’être posée car si nos gens qui s’en vont à l’étranger restent très majoritairement attachés à leur pays, il n’en demeure pas moins qu’ils gardent quelque part, enfoui dans leur esprit, un sentiment d’amertume contre ce pays qui les a conduits, voire contraints, à partir vers des ailleurs meilleurs…. Pire, qui les a menés à chercher par tous moyens (légaux) à obtenir une double nationalité, voire triple.
Aussi, avant de réfléchir aux perspectives d’avenir, il est important de dresser un constat du passé, et du présent. Le roi Mohammed VI, dans son dernier discours, s’interrogeait : « Qu’avons-nous fait pour renforcer le sentiment patriotique de nos immigrés ? ». On pourrait ajouter : « Pourquoi le tiers de nos compatriotes aspirent-ils tant à devenir immigrés ? ».
Les explications/raisons sont aussi diverses que nombreuses… Les uns mettent de la distance avec une société conservatrice qui juge, d’autres contestent un système économique conçu pour les nantis, d’autres encore ne trouvent tout simplement pas un emploi qui corresponde à leurs talents ou compétences… Il existe une autre catégorie de Marocains qui manquent de confiance dans le système judiciaire national. Un nombre croissant de femmes craint la législation matrimoniale du royaume (d’où le dernier discours royal du Trône) et de plus en plus de jeunes des deux sexes se sentent enserrés dans un système pénal attentatoire à leurs libertés individuelles… alors que de jeunes couples préfèrent s’en aller pour assurer une éducation de qualité à leurs (futures) progénitures. Et la liste n’est pas exhaustive !
Mais en dépit de cela, l’écrasante majorité des migrants effectifs ou potentiels, passés
ou présents, restent attachés à leur patrie d’origine, effectivement attachante pour la qualité de vie qu’elle peut procurer, pour les liens familiaux, pour la solidarité sociale, pour la stabilité politique, pour l’ancrage historique… Rares, très rares, sont ceux qui quittent le pays par rejet définitif, et ce fait est très important.
Alors que faire, et comment le faire ? Comment maintenir et préserver, voire renforcer, les liens des membres de cette diaspora avec leur pays d’origine ? Comment les impliquer dans les prises de décisions publiques les concernant ? Comment les intégrer, depuis leurs pays d’accueil, dans la marche du royaume ? Comment utiliser en interne les mutations profondes des Marocains du monde en externe ? Comment attirer nos compétences installées ailleurs sans forcément les faire revenir, en usant du levier de la mobilité ?
A défaut de répondre à ces questions, l’hémorragie migratoire se poursuivra et nos jeunes formés continueront de partir, la communauté s’élargira aux dépens du national, et elle deviendra une faiblesse.
Alors, pourquoi ne pas dissocier la catégorie des Marocains du monde du ministère des Affaires étrangères pour créer, come cela s’est déjà fait jadis un département qui leur serait dédié à temps plein, avec les profils pointus que cela requiert ? Pourquoi ne pas organiser des « task forces » avec les représentants de notre diaspora dans les « grands » pays d’accueil, qui regrouperait entre autres des représentants de la CGEM et du GPBM, de certains départements ministériels… des « task forces » encadrées juridiquement comme l’a préconisé le roi, et qui auraient donc une force légale et une obligation de résultat ? Pourquoi ne pas réorganiser le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) pour lui conférer une meilleure efficience, une plus forte gouvernance, et qui lui ferait éviter les grand-messes internationales qui ont montré leurs limites ?
L'organisation de la communauté juive marocaine à l'étranger, que le chef de l'Etat a appelé de ses vœux, apportera également une force d'influence au royaume, à travers l’implication de cette communauté dans ses pays d’accueil, si bien évidemment elle était mise en chantier en priorité et avec célérité.
Tout est possible et tout est faisable, si tant est que la volonté opérationnelle soit présente, puisque la volonté politique au plus haut niveau de l’Etat est là et que les liens de notre diaspora avec le Maroc ne se sont jamais vraiment distendus.
Aziz Boucetta