(Billet 731) – Mohammed VI : « Avec nous ou contre nous »
Quand il est fort, le discours d’un chef d’Etat est dit offensif, voire agressif. Celui du 20 août, délivré par le roi Mohammed VI est juste offensif ; sans agressivité aucune, le souverain a néanmoins fait montre d’une fermeté, une fermeté croissante depuis plusieurs années et qui, à l’aune des bouleversements géostratégiques, s’exprime aujourd’hui avec éclat. Ainsi, après le refus du « flou et de l’ambivalence » de 2021, voici venu le temps du « pour nous ou contre nous » de 2022.
Le discours s’est articulé autour de deux thèmes : le Sahara et l’attitude des pays du monde à l’égard de cette question prioritaire pour le Maroc, et la communauté des Marocains du monde, qui doit se constituer en véritable diaspora, utile pour ses membres et pour son pays.
1/ Le Sahara. Le roi s’est livré à un véritable, et exhaustif, état des lieux, parcourant les cinq continents, commençant par les Etats-Unis et l’Espagne en insistant sur l’irréversibilité de leurs positions respectives, puis poursuivant avec l’Europe, dans le détail, les pays arabes, dans le détail aussi, ceux d’Afrique et d’Amérique latine. Le tour de l’Asie viendra certainement plus tard, Japon, Inde, Pakistan, Bangladesh…
Une fois achevée la lecture de la liste, le souverain prononce ces phrases : « Je voudrais adresser un message clair à tout le monde : le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit. S’agissant de certains pays comptant parmi nos partenaires, traditionnels ou nouveaux, dont les positions sur l’affaire du Sahara sont ambiguës, nous attendons qu’ils clarifient et revoient le fond de leur positionnement, d’une manière qui ne prête à aucune équivoque ».
Qui sont les partenaires traditionnels, et les nouveaux ? Puisque le roi a évoqué explicitement plusieurs pays, parmi les partenaires traditionnels, il faudra ranger la France. Paris a certes de tous temps adopté une position favorable au plan d’autonomie présenté par le Maroc en 2007, mais ce soutien a de tous temps aussi eu un prix, politique et surtout économique. Aujourd’hui, les réalités ont changé et le monde est en pleine mutation sur le plan des alliances politiques, des partenariats économiques et des convergences géostratégiques. La France n’a pas évolué et son président sera en fin de semaine dans la capitale à laquelle le Maroc a maintes fois tendu la main, Alger en l’occurrence. On verra bien si Emmanuel Macron saura lire les évolutions géopolitiques et comprendre leur sens ou si, à l’inverse, il maintiendra sa politique d’insouciance, faite d’arrogance…
Qui sont les partenaires nouveaux ? On peut les classer en deux catégories, les proches et les plus lointains. Parmi les proches, le Royaume-Uni et Israël, et avec ces deux pays, les accords économiques se multiplient et
les rapprochements géostratégiques se confirment. Avec ces deux pays, les relations historiques sont aussi anciennes que fortes, contrairement aux liens qui les lient à l’Algérie, principal sponsor du Polisario. Ces deux pays seront tôt ou tard appelés, nommément, à clarifier explicitement et officiellement leur position sur le Sahara, devenu « le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international » et mesure ses amitiés.
L’autre catégorie de pays, nouveaux partenaires, est plus lointaine. Russie et Chine devront également changer leurs positions, se souvenant que pour l’Ukraine et Taiwan, Rabat a su ne pas s’aligner sur le bloc occidental. Il ne reste que quelques semaines avant le vote de la résolution sur le Sahara et dans la conjoncture mondiale actuelle, un allié de plus (ou un obligé) est toujours utile…
Globalement, et pour faire court, le roi Mohammed VI reprend à son compte la doxa occidentale du « pour nous ou contre nous ». Il a désormais les moyens de sa politique, sauf que lesdits Occidentaux ne semblent pas encore en avoir pris la mesure.
2/ Les Marocains du monde. Ils sont ici, là, partout, occupant des fonctions de plus en plus éminentes, innovant, inventant, professant, investissant et commerçant, dans tous les pays et sur tous les continents. Ils sont environ 6 millions de Marocains musulmans ou juifs, disséminés dans le monde… mais ne formant pas de diaspora dans le vrai sens du terme, ni bénéficiant de politiques publiques cohérentes et intégrées portées par une classe politique pertinente et… intègre.
Mohammed VI entend mettre un terme à cette déperdition de matière grise, à cette dilution d’un soft power qui ne demande qu’à être activé pour compenser un hard power encore poussif. Mais pour cela, il faut préalablement freiner l’hémorragie et savoir pourquoi tant de gens partent et, une fois partis, comment ils évoluent. Les questions posées par le souverain, sur la culture patriotique, sur leurs spécificités… devront être soigneusement étudiées, pour y apporter des réponses dûment mûries et non de circonstance, pour la seule raison que le roi l’a demandé…
La diaspora doit être structurellement organisée, avec ses Marocains musulmans ou juifs, instruits ou non, fortunés ou pas, créatifs ou chercheurs, travailleurs et même exilés pour des raisons qui n’ont plus lieu d’être. Un expatrié, ce n’est pas seulement de la devise, mais aussi et surtout de la matière grise.
Avec le discours du Trône et la question des femmes, le dernier discours confie une autre mission au gouvernement Akhannouch et à sa majorité, les Marocains du monde (le Sahara n'étant pas, grâce à Dieu, du ressort du gouvernement). 50% de la population, au Maroc, et près de 6 millions de la population, hors des frontières… Le gouvernement et le parlement seront-ils capables de relever le défi ? La question mérite d’être posée…
Aziz Boucetta