(Billet 729) – Le retour des grands empires

(Billet 729) – Le retour des grands empires

L’Histoire se répète, dit-on, sans que cette formule trouve une adhésion chez les historiens. Et pourtant, la lecture des évènements internationaux, depuis une vingtaine d’années, tend à montrer la pertinence de la formule. Il suffit d’observer la géopolitique actuelle pour se convaincre d’une résurgence des anciens empires qui ont dominé le monde avant l’avènement de la puissance occidentale.

Voici quelques temps, dans un sursaut de lucidité, le président français Emmanuel Macron avait dit ceci : « Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l’hégémonie occidentale sur le monde. Nous nous étions habitués à un ordre international qui, depuis le 18ème siècle, reposait sur cette hégémonie occidentale ». Constat tout à fait exact, renforcé par cet autre constat des erreurs commises par l'Occident en général, américain en particulier.

Parmi ces erreurs, une forme d’occultation et même de mépris de l’Histoire, la grande Histoire qui a connu les empires russe et ottoman et, si on remonte à plus loin, perse et chinois. Chacun de ces empires dominait sa région, lui imposait son rythme et sa culture et y faisait l’histoire, dominant les Etats existants et contrôlant peu ou prou leur activité économique.

A notre époque, et avec le développement industriel, technologique et aujourd’hui numérique, les différents Etats ont désormais la capacité de se projeter bien au-delà de leurs frontières, par la combinaison de leurs soft et hard power. Et ce sont donc principalement des Etats non occidentaux qui bousculent la politique et la géopolitique internationales

Aujourd’hui, le Russe Poutine se voit en héritier des tsars et agit en conséquence, avec les moyens matériels actuels. Idem pour le Chinois Xi Jinping qui veut faire – et fait – revivre l’ancienne puissance de l’Empire du Milieu, pour le Turc Erdogan et sa nostalgie de la grandeur ottomane et aussi, même si c’est dans une moindre mesure, les Iraniens, héritiers de la puissance politique, diplomatique, et culturelle.

Avec la mondialisation de l’économie et des finances et l’extraordinaire poussée technologique, ces pays qui, dans l’intervalle, ont changé de système politique, reproduisent leurs anciens schémas de puissance et se projettent dans le monde, par l’industrie, par l’acquisition foncière, par la force militaire ou l’influence culturelle, voire cultuelle. Face à


eux, l’Occident recule, et le complexe de Thucydide fait le reste… Tous les moyens sont bons, tous les moyens sont utilisés pour lutter contre cette re-émergence laquelle, forcément, réduit la puissance des uns au profit des autres. Sauf que depuis trois siècles, ces autres résistent, proposent une offre meilleure aux pays jusque-là soumis à l’influence occidentale (et pendant 70 ans à la puissance soviétique).

Voici une trentaine d’années, le concept huntingtonien de choc des civilisations commence à prendre forme, annonçant une conflictualité inévitable entre ces blocs. Aujourd’hui, ce sont les civilisations occidentale, slave, confucéenne et islamique qui se trouvent en situation de confrontation, soutenue et favorisée par la posture eurocentriste offensive, souvent inamicale, quelque fois hostile, des pays occidentaux.

Huntington évoque également la civilisation africaine, en versant dans cette facilité consistant à considérer l’Afrique comme un bloc monolithique alors que, à l’instar de l’Europe, l’Afrique est plurielle par tant de caractéristiques qui diffèrent d’une région à l’autre du continent. Il est cependant intéressant de considérer qu’avant l’époque coloniale l’Afrique abritait plusieurs royaumes ou empires, tous détruits et démantelés en pays aux frontières tracées hâtivement et plongeant les sociétés concernées dans une détresse de développement qui augmente et se complique. Il est également intéressant de suivre l’évolution du royaume du Maroc, ex-empire chérifien (et seul « rescapé » des empires africains) qui tente de trouver une place dans ce retour des anciens empires. Mais il ne dispose pas (encore ?) d’une richesse qui lui permette de s’imposer (le PIB reste rachitique à 110 milliards de $), ni d’une industrie d’armement qui le propulse hors de ses frontières (comme les quatre pays susmentionnés) ni d’une économie diversifiée et encore moins de R&D. Alors il combine la prudence à l’"impudence" et avance…

Tout cela conduit à penser que dans les 10 à 20 ans à venir, l’Occident sera non seulement relégué à un rang inférieur à celui qui est le sien aujourd’hui et qu’il œuvre à conserver, mais les autres puissances, anciennement empires, pourraient se trouver dans une confrontation, qui pourrait être simplement économique, donc pacifique, ou idéologique, donc militaire.

Mais le monde ne sera plus exclusivement « occidental », comme le pense le président français.

Aziz Boucetta