(Billet 721) – Les Régions, ces enragées du bureau d’études et du cabinet conseil

(Billet 721) – Les Régions, ces enragées du bureau d’études et du cabinet conseil

C’est à croire que dans la grande famille de l’administration marocaine, on ne pense pas, ou on ne sait pas réfléchir pour concevoir en interne un plan de développement régional (PDR), local ou national… Et de fait, sitôt élus en septembre dernier, les conseils régionaux ne se sont pas vraiment compliqué le concept, confiant les cogitations à propos de leurs PDR à des cabinets conseils.

Les chiffres sont effarants… des dizaines de millions de DH pour concevoir la manière avec laquelle les Régions pourront se développer, ce qui ouvre sur moult questions, voire questionnements :

1/ A quoi servent nos cadres, technocrates, walis et autres gouverneurs, tous ultra formés, tous porteurs de diplômes prestigieux et ayant bénéficié de formations pointues, si pour au final se trouver désengagés, voire délestés, de leurs missions ? Et à l’inverse, s’il est clairement prouvé et techniquement établi qu’un Plan de développement régional (PDR) doit absolument – et exclusivement – être fait par des cabinets externes, alors pourquoi alourdir la masse salariale publique avec des profils compétents, mais semblerait-il aussi compétents qu’inutiles ?

Respecter une procédure d’appel d’offres pour attribuer un PDR, c’est certes légal, mais est-ce pour autant légitime ? Surtout en cette période où l’Etat a cruellement besoin de ressources pour faire face aux multiples crises qui couvent, ou couveront.

Le ministère de l’Intérieur regorge d’ingénieurs formés aux meilleures écoles d’ingénieurs marocaines ou étrangères, et il n’y a qu’à voir l’organigramme de ce ministère pour s’en convaincre ! On dit que l’avantage des cabinets conseils est qu’ils sont inégalables en benchmarking, utilisant les pratiques de tel pays pour enrichir la réflexion sur tel autre, mais que faire alors des spécificités de nos régions, de nos sociétés civiles ici et là, de nos universités ? Et l’argument de la compétence étrangère vole en éclats si on considère que des Régions ont confié leur PDR à des bureaux nationaux, comme Southbridge ou Valyans.

2/ Où s’arrête l’intérêt de recourir à ces cabinets et où commence le conflit d’intérêt, comme ces soupçons qui pèsent sur la région Guelmim Oued Noun, dirigée par la RNIste Mbarka Bouaida et ayant confié son PDR – ou étant en voie de le faire –


à un cabinet de cogitation ayant de possibles, potentielles et (éventuellement) coupables affinités avec le Bleu, en l’occurrence Southbridge… ?

3/ Pourquoi la Région Guelmim Oued Noun n’a-t-elle donc pas traité avec l’autre bureau marocain, Valyans en l’occurrence, alors même que ce dernier est réputé pour sa longue et riche expérience, et qu’il aura en charge le PDR de la Région de Rabat-Salé-Kenitra pour environ le tiers de celui de la Région Guelmim Oued Noun ?

4/ Pour quelle obscure raison cette dernière Région a-t-elle attribué son PDR pour le montant de près de 15 millions de DH ? « Parce que l’accompagnement et la mise en œuvre sont importants », expliquent les sachants. Soit, mais alors, cela signifie-t-il que les autres Régions qui n’ont pas prévu d’accompagnement sont dirigées par des médiocres ou, pire, que les PDR qui seront élaborés seront incomplets et/ou insuffisants ?

La réponse à ces interrogations réside peut-être dans cette remarque…S’ils étaient vraiment efficaces et incontournables, le roi Mohammed VI aurait confié en 2019 l’élaboration du nouveau modèle de développement à McKinsey, BCG, Roland Berger ou un autre think tank de la pensée payante, local ou non. Au lieu de cela, le chef de l’Etat a réuni 36 compétences très éclectiques, venues du Maroc et d’ailleurs, du Royaume-Uni, de France et même de Corée du Sud, et ces 36 personnes ont conçu un modèle de développement à la mesure du Maroc et de ses ambitions. Il reste à le mettre en œuvre par le gouvernement. Aura-t-il recours aux services d’un bureau d’études ?

On peut donc légitimement s’interroger sur la pertinence de notre classe politique qui, ayant désormais infiltré la technocratie dans à peu près toutes les strates de l’administration, reconnaît, signe et souligne son incompétence à gérer les affaires publiques, face à un troublant silence de l’institution parlementaire qui se contente d’applaudir à toutes décisions prises par le gouvernement et sa majorité dans les Régions.

Mais avons-nous encore une classe politique digne de ce nom ? Les technocrates semblent avoir pris la main sur presque tout. Or, le politique sans la technocratie, c’est le risque d’incompétence, mais la technocratie sans le politique conduit à un risque de connivence.

Aziz Boucetta