(Billet 696) – Pour la France, le Sahara est une question de politique intérieure et européenne

(Billet 696) – Pour la France, le Sahara est une question de politique intérieure et européenne

Depuis la réélection d’Emmanuel Macron ce 24 avril, et même avant, les Marocains (du moins ceux qui s’intéressent à la chose) s’interrogent sur l’aptitude et/ou la volonté du président français à prendre position pour l’intégrité territoriale du Maroc, en réaction aux évolutions espagnole et allemande sur ce dossier et pour rattraper les Etats-Unis qui ont franchi un pas décisif en décembre 2020. Mais qu’en est-il réellement ?

Depuis 1975 et la Marche Verte, la France soutient le Maroc, tout en préservant un très fragile équilibre dans ses relations entre les deux grands pays du Maghreb que sont le Maroc et l’Algérie. Des relations séculaires avec le premier, privilégiées par la proximité et par l’histoire, mais aussi par l’économie et un étrange attrait, de part et d’autre. Avec l’Algérie, la question mémorielle persiste et s’incruste, due à 130 années de conquêtes, d’occupation et de guerre d‘indépendance, laquelle s’est soldée par un traumatisme partagé tant en France que dans son ancienne possession. Avec des séquelles encore (très) vivaces…

Mais avec le Maroc, il existe aussi une question de mémoire (le mot « mémoriel étant jalousement réservé à l’Algérie), voire d’histoire, en considérant les relations datant d’au moins trois siècles et à cette « amitié orageuse » entre Louis XIV et Moulay Ismaël. Nul besoin de remonter jusqu’à Charles Martel et la « non bataille » de Poitiers, mais sans doute une nécessité de revisiter les propos de Lyautey sur l’Afrique du Nord et le Maroc, Lyautey que son pays a honoré avant d’oublier – ou pour mieux oublier – ses recommandations et conseils.

Ainsi donc, depuis 1990, la France soutient le Maroc dans l’affaire du Sahara, avec des hauts et des bas, en fonction de la proximité des présidents successifs avec Rabat. L’alternance gauche-droite a marqué ces pics mais même les socialistes, une fois en situation, voyaient un avantage à « protéger » le Maroc sans s’aliéner l’Algérie… jusqu’à ce qu’arrive Emmanuel Macron, européen convaincu, afro-sceptique affirmé ou « afro-indifférent » confirmé.

De 2017 à 2022, le président Macron, chahuté sur ses terres pour arrogance exacerbée, a donné de cette arrogance la pleine mesure en Afrique. Résultat : la France perd peu à peu, puis de plus en plus vite, son pré carré africain. Au Maghreb, le chef de l’Etat français œuvre manifestement à régler la question mémorielle avec l’Algérie, dont il a fait son devoir résolu, délaissant un peu le royaume d’à


côté, ce qui est son droit absolu.

Ayant considérablement affaibli les deux pôles politiques classiques, Emmanuel Macron n’en dispose pas pour autant d’une force ou formation politique « durable ». Il est donc contraint de rassembler et de mobiliser et, ce faisant, ménage son électorat algérien, ou pense le ménager en ne bousculant pas excessivement les gouvernants d’Alger. Ainsi par exemple des visas, cette monumentale erreur ayant consisté à l’appliquer au Maroc pour une sombre question de réadmission de citoyens maghrébins concernant surtout des Algériens… Mais c’est aussi sur le plan européen que le président français n’ose pas aller de l’avant. Les pays nordiques et germanophones n’étant pas vraiment acquis aux thèses marocaines, il refuse de prendre le risque de se trouver isolé au sein des 27 en reconnaissant la marocanité du Sahara. Version officielle suggérée : Il n’est pas dans l’intérêt du Maroc que la France reconnaisse la marocanité du Sahara car elle s’isolerait en Europe et serait affaiblie pour défendre les positions de Rabat… quoique, avec la récente évolution de Berlin, cet argument est fragilisé.

Mais, pour autant, maintenant qu’il est réélu et qu’il entame son second et dernier mandat, il paraît certain que M. Macron voudra inscrire son nom en lettres d’or dans l’histoire de son pays… Et en ce qui concerne le Maghreb, ayant le choix entre le Maroc et l’Algérie, il choisira très vraisemblablement l’Algérie. Il œuvrerait ainsi à gagner l’Algérie sans perdre le Maroc, il n’obtiendra rien de l’Algérie mais il s’éloignera du Maroc.

L’Algérie est de plus en considérée en Europe comme un simple fournisseur de gaz, sans autre intérêt géostratégique que l’énergie (dont elle est, pour plusieurs raisons, un fournisseur moyen), et peut-être un risque d’accueillir une base russe sur son sol. Le Maroc est bien plus sensible sur le plan géopolitique et, en dépit d’un manque de puissance, il dispose de plusieurs instruments de puissance (géographie avantageuse, économie prometteuse, alliances audacieuses, …).

La nouvelle génération de dirigeants français est entièrement tournée vers l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie. Il semblerait que cela soit une erreur en termes géostratégiques. Dans cinq ou dix ans, la configuration géopolitique africaine et maghrébine aura évolué, et la France, dans cette partie du monde, si elle ne fait pas un choix audacieux et même périlleux mais nécessaire et incontournable, restera reléguée dans ses souvenirs et coincée dans l’histoire commune.

Aziz Boucetta