(Billet 692) – Le sens de la justice du ministre de la Justice

(Billet 692) – Le sens de la justice du ministre de la Justice

Est-il légal pour un citoyen, une association, de poursuivre en justice une administration, un élu, un responsable, pour détournements de fonds publics ? En principe oui parce que de nombreuses plaintes sont déposées devant les tribunaux du royaume. En perspective non, car le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi veut en décider autrement… La démarche serait logique et pertinente si elle ne semblait par trop politicienne !

Le ministre l’a dit, la semaine dernière, devant les conseillers de la chambre du même nom, avec moult effets de manche, de grandes gesticulations, son bagout habituel et quelques lourds sous-entendus difficilement audibles car à peine marmonnés. Le problème avec le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi est qu’il est souvent trahi par son verbe qu’il veut haut mais qui, souvent, en devient hautain.

La semaine dernière donc, devant des élus ravis, majoritairement issus des collectivités locales, le ministre a eu une sortie qui a fait beaucoup de bien à son auditoire, mais quelque mal aux citoyens soucieux de la bonne tenue des finances et fonds publics. L’idée du ministre-avocat-chef de parti est de priver les citoyens de la possibilité d’ester en justice contre un élu ou autre responsable qui serait à leurs yeux responsable de détournements de fonds publics. Damned !

L’éternel énervé qu’est M. Ouahbi argumente que c’est là la tâche du ministère de l’Intérieur. Pourquoi le ministère de l’intérieur seulement ? Sans doute faut-il prospecter dans les tréfonds inconscients du ministre… Pourquoi doute-t-il de la bonne foi du tout-venant initiant une action en justice contre un édile, un fonctionnaire indélicat ? Pour le ministre, il semblerait qu’un citoyen ne soit bon qu’à voter. Soit, raisonnement puissant et indiscutable.

Pour autant, le propos d’Abdellatif Ouahbi n’est pas tout à fait dénué de sens, ne serait-ce que pour la bonne raison d’encombrement des tribunaux, déjà sur-engorgés et cette autre excellent argument de la possibilité de règlements de comptes personnels. Mais si les citoyens, en leur nom propre ou au nom d’associations de défense de l’argent public, déposent des plaintes pour corruption, prévarication, concussion ou dilapidation de fonds public ou encore détournements de ces mêmes fonds, c’est en toute simplicité parce qu’ils ne sont pas en confiance !

Que le ministre de l’Intérieur mène ses enquêtes et procède à


des sanctions en dehors de campagnes « coups de poing » ou de coups de poing ciblés… Que la 1ère Présidente de la Cour des Comptes gomme cette calamiteuse et si navrante réflexion de son prédécesseur sur le fait que « personne ne lit les rapports de la Cour » et qu’elle œuvre pour que ces rapports soient lus et leurs recommandations exécutées… Que l’on ne trouve plus, par exemple, un vice-président de la Commission de la Justice à la chambre des Conseillers, lui-même condamné en appel à 5 années de prison ferme pour détournements, corruption… Que les états-majors des partis n’investissent plus aux élections des gens dont la place est en prison plus qu’en fonction électorale… Que les jugements soient exécutés et que les condamnations soient purgées, sans atermoiement ni hésitation… Que la reddition des comptes devienne effectivement effective et ne relève plus d’une douce utopie… Que des hauts responsables qui n’aient pas remis leurs états de patrimoines soient suspendus, voire révoqués…

Une fois cela assuré, alors les citoyens se sentiront protégés et prémunis contre les véreux, les incompétents et les indélicats, et ils n’esteront plus eux-mêmes, laissant aux institutions le soin de faire leur travail. Mais que la politique en ce beau pays qu’est le Maroc persiste à se montrer sous le jour d’une collusion entre copains et souvent entre coquins, et le citoyen usera de son droit moral de contrôle des fonds publics. Et si M. Ouahbi insiste pour l’en priver, c’est toute la confiance qui s’éclipsera et la défiance habituelle qui se confirmera.

Voici une vingtaine d’années, un chef de parti, aussi prestigieux que son dit parti, avait répondu à un de ses cadres qui voulait encadrer le processus de délivrance des investitures pour plus d’éthique : « Mais si on fait cela, nous n’aurons plus de candidats ! ». C’est un peu le sens de la saillie de M. Ouahbi devant les élus, et la polémique sur l’article du code pénal criminalisant l’enrichissement illicite ne devrait pas contribuer à restaurer (voire instaurer) la confiance.

Il n’est absolument pas difficile de s’inscrire dans une démarche éthique, mais plus délicate est la volonté de le faire. Or, l’opinion publique, désormais décomplexée, observe, et c’est là le problème, M. le Ministre.

Aziz Boucetta