(Billet 688) – McKinsey, le Dr Tazi et l’opinion publique…

(Billet 688) – McKinsey, le Dr Tazi et l’opinion publique…

L’affaire du Dr Hassane Tazi est dans tous les esprits, à défaut d’être sur toutes les lèvres, quoique… On dit qu’il a fait, défait, surfait, refait, sans que l’on use du conditionnel, tant il est vrai que toute personne non condamnée est présumée innocente. Par ailleurs, la firme de conseil McKinsey est sous les feux de la rampe, d’abord en France, puis au Maroc, pour les mêmes raisons, ou presque, documents attestant les faits, et les faits sont la grande optimisation, voire minimisation fiscale. Qui fait le plus de mal et pourquoi se passionne-t-on pour le médecin supposé criminel et non pour la firme clairement sous-fiscalisée ?

Et bien parce que dans tous les pays de la terre, on privilégie le people, le sensationnel, le buzz, le ragot. Telle personne, connue, est reconnue pour avoir commis tel ou tel méfait, et c’est l’hallali. Les actes imputés par le procureur général de Casablanca sont lourds, et graves, et transmis au juge d’instruction pour enquête. Seulement voilà, ni le procureur ni le juge d’instruction ne sont des juges tout court, et tout cela mérite d’être confirmé, même si le médecin et ses camarades d’infortune sont aujourd’hui enfermés.

Certes, il n’y a pas de fumée sans feu, dit-on, et les noms des victimes commencent à apparaître… Mais il est quand même navrant et affligeant que dans ce pays, on brûle les gens sur la place publique avant même qu’ils ne soient condamnés. La double peine, quoi…

Et en face, nous avons une situation ennuyeuse… celle d’un cabinet conseil, international, mondial, planétaire, global, McKinsey. Ses cadres savent tout, prévoient tout, planifient tout, élaborent des stratégies de conseil, de développement, d’investissement. De la grosse intelligence collective, fondée sur d’encore plus consistantes compétences individuelles, le tout payé à prix d’or. Et tout cela est bien…

…sauf que ce cabinet dispose d’autres compétences, inconnues jadis du grand public, du moins avant que la justice française ne l’en informe et qu’au Maroc, nos confrères de Médias24 lui emboîtent le pas. Les faits et « méfaits » fiscaux de McKinsey en France comment à être déballés sur la place publique mais au Maroc, il reste assez surprenant que personne ne s’en soucie (encore ?). Que nous apprend donc Medias24 sur McKinsey Maroc, qui est aussi McKinsey Maghreb et Afrique francophone ?

Que sur des chiffres d’affaires qui oscillent entre 300 et 400 millions de DH, la firme US paie à l’Etat marocain la somme ridicule, symbolique (de tant de choses)


de 1 million de DH environ, correspondant le plus souvent à la cotisation (vraiment) minimale. Rien de mal a priori, si l’entreprise fait des pertes, et elle en fait, mais moyennant une ingénierie fiscale digne de … McKinsey ! Entre les avantages CFC et autres faveurs fiscales pour export, le tour est joué. Mais il doit bien rester quelque chose à soutirer à l’Etat… alors on pousse les pertes en ayant recours à des consultants étrangers payés à des prix auxquels même Elon Musk ne saurait être indifférent, et aussi en gonflant au mieux les transferts vers la maison-mère.

Les autorités marocaines ayant réglementé la nature et montants de ces transferts, les agissements de McKinsey sont ce qu’on appelle de l’abus de droit. La firme abuse, quoi…

En bref, en gros et en quelques mots, McKinsey ne paie pas les impôts qu’elle devrait au Maroc. Et que pensez-vous qu’il arriva ? Personne ne broncha ! Il faut dire que McKinsey connaît tellement de monde et de secrets dans ce pays… où il a choisi d’être pour y apporter son expertise, dit-on parmi les cadres du cabinet, conscient qu’il n’y a de meilleure défense que dans l’attaque.

Et ainsi donc, McKinsey, pour prodiguer ses conseils onéreux, siphonne l’information disponible, généralement stratégique (les ficelles bancaires, la politique portuaire, le développement agricole, les cogitations sur les politiques publiques…), qu’elle « mutualise » avec la data puisée dans d’autres pays, selon sa stratégie planétaire. Le groupe maximise ses résultats mondiaux en optimisant ses performances locales, en se jouant allégrement des réglementations marocaines et en mettant en avant ce qui rappelle quelque peu une « mission civilisatrice »… On est donc prié de dire merci car à en croire les dirigeants de la firme US, si on est un peu développé, c’est pour beaucoup grâce à elle.

Est-ce illégal ? Non, semble-t-il. Est-ce éthique et moral ? La question mérite d’être posée. Et en face, quelle réaction ? Rien. L’opinion publique se passionne pour les turpitudes supposées du Dr Tazi et ses amis, et les dirigeants du public détournent les yeux. Il est vrai qu’ils sont si nombreux, lesdits dirigeants, à travailler avec McKinsey, ignorant ou feignant d’ignorer que ce modèle de développement par le conseil, fût-il McKinsey, est révolu.

A la place, un plan de développement, ou modèle du même nom, a été élaboré par des compétences nationales, au fait des contraintes et opportunités nationales, pour être mis en œuvre par une classe politique nationale. Qui semble l’avoir oublié, n’ayant d’yeux que pour McKinsey…

Aziz Boucetta