(Billet 681) – Etat d’urgence prolongé… sans véritable urgence

(Billet 681) – Etat d’urgence prolongé… sans véritable urgence

Voici deux ans, le Maroc apprenait qu’il entrait sous régime d’état d’urgence, et les Marocains allaient goûter aux délices d’un gouvernement qui agit par décrets, aux joies de couvre-feux répétés et aux merveilles des restrictions de mobilités. C’était normal et inévitable, une pandémie sévissait. Aujourd’hui, le monde est passé du virus aux Russes, alors pourquoi maintenir un état d’urgence, même si l’heure n’est plus à l’urgence, mais plutôt à la gravité du bruit de bottes et d’armes intelligentes activées par des gens qui ne le sont pas forcément.

En effet, l’inimitable Vladimir Poutine avait dit un jour de bonne humeur qu’ « [il] ne savait pas avec quoi se ferait la 3ème guerre mondiale, mais la 4ème allait se faire avec des lances et des pierres » ! Avec la situation en Ukraine, nous en avons oublié le coronavirus et ses urgences de gouvernance. Aujourd’hui, le monde est en danger et nécessite de la réflexion et de la retenue. Nous sommes dans une configuration aussi différente qu’explosive.

Alors pourquoi le gouvernement Akhannouch a-t-il prolongé l’état d’urgence ? Nous pouvons valablement penser qu’il a une raison, des raisons, mais qu’il n’a pas eu la délicatesse de partager avec l’opinion publique, avec ses 2 millions d’électeurs. Un simple copié-collé des décrets de prolongation de son éternellement souriant prédécesseur Elotmani, et c’est tout.

La pandémie recule, bien qu’elle ne soit pas encore officiellement déclarée derrière nous, mais plusieurs pays ont décidé d’annuler l’état d’urgence sur leurs territoires, même partiellement, même dans le temps… gardant la possibilité de prendre des dispositions à caractère spécial en cas de besoin. Les dirigeants ne font donc pas ce qu’ils veulent comme ils le veulent, car les opinions publiques les guettent et exigent des explications.

Au Maroc, et s’il faut reconnaître que la crise Covid a globalement été bien gérée, les décisions prises ont été souvent rudes, plus rudes qu’il ne fallait, comme cette étrange et très, trop longue fermeture des frontières de décembre 2021 à février 2022, ou...

comme ce 26 juillet 2020 de funeste souvenir, quand le gouvernement précédent avait décidé de boucler le pays en interne, avec un préavis de quelques heures seulement.

Alors donc, cette semaine, la prolongation de l’état d’urgence est intervenue à un moment où, si les mesures de précaution doivent certes encore être maintenues, des explications devraient intervenir pour clarifier les raisons de figer cette situation exceptionnelle permettant au gouvernement de prendre des dispositions drastiques sans véritable nécessité ou même logique.

On dit, de par le monde, que les différentes crises survenues ces 20 dernières années ont donné lieu à des mesures restrictives de libertés, qui finissent par s’installer dans nos quotidiens et devenir une norme de vie. Les caméras, les surveillances numériques, les fiches de traçabilité, les vigiles qui vous fouillent et les agents qui vous dévisagent… Tout cela n’est pas vraiment dérageant, le monde ayant changé et les risques y afférent ayant augmenté. Mais l’état d’urgence sanitaire atteint les activités économiques et a montré plus d’une fois l’inadaptation de certaines mesures avec la réalité de la situation.

Et pas d’opposition qui soit digne de ce nom, sur le plan quantitatif s’entend, et parfois, souvent même, qualitatif, pour s’interroger et interroger les décideurs ! Qui pour demander des explications au gouvernement, dans les instances institutionnelles ? Qui pour apporter la contradiction à une équipe gouvernementale qui semble agir de son propre chef sans prendre en considération les attentes et questionnements des populations ?

Et ainsi donc, l’état d’urgence semble avoir fini par s’inscrire… dans la logique des choses. Même si l’urgence aujourd’hui est d’éviter une guerre généralisée ou, au moins, les répercussions d’une guerre limitée à l’Ukraine, et aussi de gérer les très possibles pénuries et très plausibles augmentations de prix.

Et ce n’est pas avec cet état d’urgence institutionnel qu’on remédiera à l’urgence des approvisionnements… Mustapha Baitas, porte-parole du gouvernement, a pour sa part recours à la méthode confessionnelle, « en implorant Dieu d’aider le Maroc dans les mois à venir ».

Aziz Boucetta