(Billet 674) – 8 mars : la parité, ce n’est pas pour demain, et la non-parité a un coût…

(Billet 674) – 8 mars : la parité, ce n’est pas pour demain, et la non-parité a un coût…

Nous sommes le 8 mars, et c’est la Journée internationale des droits des femmes. A l’inverse de ce que pensent beaucoup de gens, il ne s’agit pas de la « fête de la femme » mais d’une occasion planétaire pour faire le point sur les avancées réalisées en matière de parité et d’égalité, d’inclusion et de droits. Et cette année, comme les précédentes, au Maroc, l’heure n’est vraiment pas à la fête, et cela coûte de l’argent, beaucoup d’argent.

La situation des femmes en matière d’emploi et d’intégration à l’économie au Maroc n’est pas bonne. Non seulement elle ne s’améliore pas, mais elle se détériore ! Ainsi, si le taux d’activité des femmes était de 26% à l’aube de ce siècle, quand il avait un ou deux ans, elle est aujourd’hui de moins de 20% (limite inférieure de la zone MENA où les femmes sont les moins bien loties dans le monde). La raison en est aussi simple que paradoxale : alors que le royaume souhaite s’engager à grands pas dans son siècle et aspire à la modernité, il s’enfonce progressivement et de plus en plus vite dans la tradition et le conservatisme. Les hommes sont responsables de cette situation, et les femmes aussi.

Quelques chiffres pour planter le décor de notre plantage national sur la question des femmes : 35% des femmes occupent des emplois non rémunérés, contre 8,6% pour les hommes. Les femmes consacrent 20,8% de leur temps journalier au travail domestique et 5,6% seulement aux activités professionnelles. Sur 8.438.000 ménages dans le royaume, 16,7% (soit 1.409.000) sont dirigés par des femmes. Alors que la tendance mondiale pour le taux d’activité des femmes augmente universellement depuis 2000, il a connu au Maroc une régression de 24% ! La part d’emploi vulnérable dans l’emploi féminin total a quasi stagné de 1990 à 2017, reculant légèrement de 70 à 60%.

Et maintenant, lisons lentement cette conclusion d’ONU Femmes : « Une réduction complète de l’écart d’emploi entre les femmes et les hommes, en éliminant les barrières à l’activité des femmes y compris celles liées à l’éducation, induirait une hausse du PIB par habitant de 39,5%. La progression du PIB par habitant serait de 22,8%, en procédant uniquement à l’élimination des barrières à l’activité des femmes sans prendre en compte celles empêchant un accès équitable et jeunes filles et des femmes à l’éducation ». Ça fait de l’argent…

Au Maroc, les femmes ne travaillent pas autant qu’elles le devraient, elles subissent des violences même pas réprimées (97% des cas de viol ne sont pas dénoncés), elles n’ont pas le droit de disposer de leurs corps (traitement légal discriminant pour les femmes en matière de relations sexuelles, avortement toujours interdit…), elles sont désavantagées en matière d’héritage, de garde des enfants, de retraites… Mais elles paient les mêmes...

impôts que les hommes !

Lors de la Révolution française, Olympe de Gouges (qui a fini guillotinée) disait que puisque « la femme a le droit de monter à l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune ». Tout est dit et, en adaptant la formule au Maroc d’aujourd’hui, « la femme est soumise aux mêmes droits que l’homme, elle doit également pouvoir disposer des mêmes avantages », de sa place dans la cité, dans l’espace public, au travail et ailleurs.

Face à cette situation qui coûte tant en termes de droits humains et de richesse nationale, le CESE tire la sonnette d’alarme, le HCP attire l’attention, la société civile s’afflige, ONU Femmes s’émeut, et la constitution est parfaitement claire sur l’égalité et la parité, mais rien n’y fait ! Alors que faire ? Dans ce type de problématique, où la société doit changer pour que tout change, c’est aux politiques qu’il revient de faire le travail.

Le premier d’entre eux, le chef de l’Etat en l’occurrence, a précisé le rôle de la femme dans son premier discours en août 1999, il a initié la réforme du Code de la famille en 2004, il a veillé à inscrire la parité et à l’égalité du genre dans la constitution en 2011, il a lancé une réforme du droit à l’avortement en 2015, il a nommé en 2019 une commission pour un modèle de développement qui prévoit un taux d’activité des femmes de 45% en 2035… Les autres politiques, les partis, eux, brillent par leur pusillanimité, les yeux rivés sur les résultats électoraux et les nerfs tremblant d’oser ou de proposer une quelconque évolution à leurs électeurs, de peur qu’ils ne s’enfuient. Ils n'ont même pas acctivé l'Apald, l'Autorité pour la parité et la lutte contre les discriminations!...

Dans son dernier discours au congrès de son parti, le chef du gouvernement s’est félicité de la place acquise par les femmes dans son parti, mais la réalité est dure. En matière de représentation politique des femmes, le Maroc est 106ème dans le monde ! Et les différents gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 (trois au total, dont l’actuel), n’ont rien fait ou ne feront rien pour améliorer en profondeur la place de la femme dans la société.

Pourquoi cela bloque-t-il ? Est-ce l’islam ? Non, puisque dans les pays musulmans d’Asie, les femmes sont présentes et actives dans la société. Est-ce la culture arabe ? Non, voyons le Liban ou les Emirats Arabes Unis. Est-ce Tamgharbite ? Peut-être pas. Un mélange des trois ? Assurément.

Et si rien de vraiment sérieux n’est lancé dès aujourd’hui, ce qui requiert une grande audace et de l’action politique, le NMD qui valorise tant le capital humain et appelle à l’édification d’une « société forte » restera un vœu pieux. Ce qu’à Dieu ne plaise…

Aziz Boucetta