(Billet 668) – L’insoutenable légèreté des grandes (et moyennes) puissances
« Selon que vous puissant ou misérable… », disait Jean de La Fontaine… Dans ce monde qui est aujourd’hui le nôtre, plein de droit et pétri de justice internationale, les nations sont fort inégales dans leur supposée égalité. Il faut remonter à plus loin que ces trente dernières années pour trouver une situation internationale autant faite d’aimables entorses aux règles du droit international.
Et c’est ainsi que Vladimir Poutine se rappelle, un jour de 2014, que la Crimée est un ancien territoire tsariste et que le tsar qu’il est devenu (20 ans de règne et encore une douzaine à venir) doit la récupérer. Puis, dans la foulée, il se souvient également que Vladimir Ilitch, sinistrement connu sous le surnom de Lénine, avait « donné » le Donbass à l’Ukraine pour lui instiller un chouiya d’industrialisation. Alors cette semaine, après plusieurs mois de pressions et de tensions, il reconnaît l’indépendance des républiques de ce territoire et y envoie son armée.
Français et Américains poussent alors des hurlements d’indignation, soulignés par des hochements de tête indignés des Anglais et des Allemands. Constatons que les premiers sont en campagne électorale et que les seconds, non… Cela doit expliquer la différence dans le ton. Toujours est-il que Monsieur Vladimir a défini et protégé son étranger proche, qui signifie qu’aucun étranger ne doit s’approcher de lui et de son pays.
Que les Israéliens jettent leur dévolu et leurs missiles sur le Golan et émiettent la Cisjordanie n’offusque cependant personne, au nom d’un souvenir historique aussi douloureux que mal digéré. Que les Chinois aient repris le Tibet, étranglé Hong Kong et lorgnent vers Taiwan ne fait qu’alimenter les discussions entre copains aux Nations Unies. Que les Américains, avec la complicité active des Britanniques, aient conquis l’Irak, affamé sa population, pillé ses ressources, ne dérange personne, en dehors de quelques complaintes ici et là.
Que les Français n’aient décidé d’organiser un référendum en Nouvelle-Calédonie qu’après en avoir sollicité l’autorisation et l’aval de leur propre population, en 1989, cela ne
dérange personne, même si, un tiers de siècle après, ce référendum est organisé à la va-vite et que les populations autochtones crient au hold-up.
L’Espagne, elle, fait ce qu’elle veut comme elle veut, adossée à l’Europe qui accepte tout et autorise le reste dès qu’il s‘agit d’un de ses membres importants (car parmi les 27, il y a les importants et les impotents). Si les Catalans parlent indépendance, ils sont traqués et matraqués, arrêtés, jugés, condamnés et emprisonnés, alors que Bruxelles regarde ailleurs. Mais que le Maroc demande à recouvrer Sebta et Melilla, et voilà les locataires à Bruxelles qui dégainent leurs grands airs de défenseurs de l’Histoire et en font toute une histoire.
Que les Français adoubent un rejeton orphelin et l’aident à prendre la place de son géniteur ne dérange personne et que les mêmes Français refusent aux Guinéens ce qu’ils accordent aux Ivoiriens ne heurte aucune sensibilité, sauf celle des peuples concernés. Que les Américains, qui ne colonisent personne, occupent ou aient occupé tant de contrées ne préoccupe personne.
Mais que Rabat essaie d’expliquer que le Sahara est marocain, et voilà que les grands buts et principes de la Charte de l’ONU sont brandis à sa face, et que les diplomates internationaux s’offusquent et s’indignent, s’étranglent de leurs trémolos en défendant les grands idéaux qu’ils sont pourtant les premiers à fouler aux pieds. Et dans leur insoutenable hypocrisie, ils en appellent à la légalité internationale, au compromis, à la bonne foi, au mutuellement acceptable et toussa.
Quelques sénateurs américains l’avaient bien compris, qui avaient un jour dit au Maroc : « Si vous considérez que ce territoire est vôtre, alors allez-y, instruisez les enfants, bâtissez hardiment et investissez massivement… et n’attendez pas grand-chose de l’ONU ! ».
« L’ONU, ce machin... », disait le Grand Charles. Il avait raison, et avec le temps le machin inutile a évolué en machine tout aussi futile. Dans ce monde, il faut se fier à sa vérité et non aux turpitudes des autres.
Aziz Boucetta