(Billet 663) – Le petit Rayan est mort, mais il a fait vivre tant de choses...

(Billet 663) – Le petit Rayan est mort, mais il a fait vivre tant de choses...

Et finalement, le petit Rayan Oram n’a pas survécu à sa chute et à ses conséquences. Cela aurait été un véritable miracle que les sauveteurs l’eussent trouvé vivant, en raison des conditions qui ont marqué ses cinq jours passés dans le puits de plus de 30 mètres. Paix à son âme et condoléances à sa famille.

Pourquoi cette affaire a-t-elle autant défrayé la chronique et ému le monde ? Pour plusieurs raisons :

1/ A l’inverse de drames similaires ou même bien plus meurtriers, l’identité du petit garçon était connue et sa photo le montrant souriant fut fortement médiatisée. On mettait un nom et un visage sur la victime, créant ainsi une appropriation affective de son drame, et les images montrant les parents effondrés ont contribué à cette empathie planétaire.

2/ Le suspense entourant sa survie… Est-il vivant, mort ? La question revenait chaque jour, chaque heure, chaque minute, créant une passion pour son cas et une crainte pour son existence et, la médiatisation aidant, a suscité l’intérêt d’un nombre croissant de gens au Maroc, puis dans son voisinage, puis dans le monde.

3/ L’effroi des familles de se voir un jour plongées dans la même situation : on craint toujours pour la vie des enfants, qu’ils soient nôtres ou pas, exposés aux risques quotidiens, ménagers ou autres.

Cependant, cette affaire aura mis en évidence certaines vérités qu’il est bon de rappeler.

1/ Le pouvoir des réseaux sociaux. On ne dira jamais assez l’utilité du web dans la transmission des informations. On pourrait bien sûr objecter, et on l’objecte, que feu Rayan n’est pas le seul enfant à décéder dans ces conditions ou à s’être trouvé dans cette situation, mais sauver un enfant, un seul, est important. Cette affaire, comme d’autres avant et plus même, montre l’importance de l’image et le rôle des réseaux dans sa circulation.

2/ L’abjection de certains médias. Oui certes, des sites électroniques ont tiré profit de ce drame pour faire de l’audience en divulguant de fausses informations, en surfant sur l’émotion générale, en faisant commerce des images de la famille effondrée ou en faisant même usage de fausses images d’enfants sauvés ailleurs. C’est la dure loi de l’information : l’offre d’images abjectes ne pourrait exister sans une demande correspondante. Que faire ? Eliminer cette demande ? Chose impossible. Alors, dans ce genre de tragédie, gardons le positif et admettons l’existence de l’ignominie.

3/ Le gouvernement. Que n’a-t-on pas glosé sur le gouvernement indifférent, sur son manque d’empathie, sur l’absence de ministres sur place, ou même de leur chef… Mais honnêtement, qu’aurions-nous dit si un ministre s’était rendu sur place ?


Récupération politique, mise en avant personnelle, indélicatesse, abjection… Dans pareille situation, les seules personnes qui doivent se trouver sur les lieux du drame doivent être les secouristes, les sauveteurs. Même pas les centaines d’individus qui criaient et martelaient le sol de leurs pas, au risque de provoquer un éboulement sur le petit Rayan. Et la présence d’un officiel, en plus d’être de mauvais goût, aurait créé une inutile pression sur les équipes de sauvetage.

4/ le chef de l’Etat. On relèvera aussi la discrétion du roi Mohammed VI tout au long de ces cinq jours, mais au vu des moyens déployés, on pouvait raisonnablement penser que des instructions à son niveau avaient été émises. Cela a été confirmé par la suite, dans le communiqué du palais royal. Et l’annonce du dénouement tragique par communiqué royal a représenté un symbole car c’était l’ensemble de la population du pays, ou presque, qui suivait l’évolution de la progression vers le défunt petit.

5/La solidarité agissante de tous. En dépit de la tragédie qui se jouait sous nos yeux, le formidable élan de solidarité qu’a créé cette affaire mérite d’être retenu. Les femmes qui préparaient les repas des sauveteurs, les forces de l'ordre, les ingénieurs spécialistes du terrassement et du génie-civil qui se sont transportés sur les lieux, les conducteurs des engins de terrassement, et le fameux et désormais célèbre Ammi Ali qui a cristallisé sur sa personne l’affection et l’émotion de tout un pays, à travers l’extraordinaire reconnaissance, méritée, dont il a fait et été l’objet.

Le petit Rayan est mort mais avec lui vit la flamme de ce pays et de cette société qui ont montré leur existence et l’importance que revêt à leurs yeux chaque vie humaine. Il y a certes des dizaines d’enfants qui meurent chaque année dans des circonstances dramatiques, forcément dramatiques. Mais au lieu de verser dans un populisme nauséabond pour solder des comptes avec l’Etat ou avec ses représentants, nous devrions nous dire qu’aussi poignante que puisse être la mort de Rayan, il s’agit d’un accident domestique, d’un fait de société.

En effet, la mort d’Amina Filali en 2012, la libération par erreur du pédophile Galvan en 2013, l’enfant brûlé vif à Salé en 2020, l’assassinat du petit Adnane à Tanger la même année… tous ces évènements sont des faits de société qui agitent notre société, mais qui montrent sa vivacité, quoi qu’on en dise et quoi qu’il en coûte de le dire !

Dans l’attente, l’heure est au recueillement à la mémoire du petit Rayan. Paix à son âme.

Aziz Boucetta