(Billet 648) – Maroc-Chine, la route de la soie… et chacun pour soi
2022 commence comme a fini 2021, dans le déploiement diplomatique et géostratégique. Le 5 janvier, en effet, le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita a signé la convention pour la mise en œuvre conjointe de la Route de la soie entre le Maroc et la Chine (photo). Cela ouvre grand les portes du Maroc à la Chine ; elles l’étaient déjà, ouvertes, mais là elles le sont encore plus.
En désignant comme représentant de la partie chinoise le vice-président de la très importante National Development and Reform Commission (NDRC), qui a rang de ministère, voire de « premier ministère », Pékin montre l’importance qu’elle accorde à ce partenariat en Afrique du Nord. En effet, si l’Empire du Milieu avait initialement privilégié l’Algérie en raison de sa ci-devant affinité idéologique avec ce pays, ce n’est aujourd’hui plus le cas.
Le Maroc présente plusieurs atouts pour la Chine, qui n’a désormais d’yeux que pour l’économie et l’implantation à proximité de ses marchés cible. Et l’Europe en est un. Or, le port de Tanger-Med détient le 3ème rang mondial en termes de connectivité, derrière Shangaï et le Panama et depuis, occupe une place de choix dans le cœur (et surtout les stratégies) des Chinois qui cherchent des routes vers l’Europe. Et en plus de cette infrastructure opérationnelle au nord, le royaume offre au sud le couloir mauritanien ouvrant sur l’Afrique de l’Ouest ; un argument supplémentaire, et de poids, pour Pékin, ses ambitions, ses dollars et ses IDE dans cette région, à cheval sur l’Afrique et l’Europe, sur la façade atlantique de l’Afrique et les Etats intérieurs du Sahel.
La Chine investit actuellement quelques 380 millions de dollars au Maroc, une misère… Mais maintenant que son choix se porte clairement sur le royaume dans la région Maghreb, cela devrait pousser ses investissements « plus vite, plus haut, plus fort ».
Ce faisant, le Maroc joue sur les tableaux des deux grandes puissances que sont les Etats-Unis et la Chine, la Russie dans une moindre mesure et loin derrière, mais la Russie aussi, quand même. N’ayant pas lui-même une forte capacité économique du fait de son PIB encore faible (120 milliards de $ seulement), et ne pouvant en conséquence prétendre jouer un rôle économique de premier plan, le royaume brandit son atout majeur, et unique,
sa lecture de la géopolitique mondiale et régionale et sa maîtrise de ses atouts géostratégiques.
L’Europe en général, la France et l’Espagne en particulier, restent pour leur part ancrées dans leur passé commun avec le Maghreb, mais coincées dans ce cadre de pensée devenu carcan, qu’elles se sont imposées. L’Allemagne, après environ une année de froid glacial avec le Maroc, a fini par jeter l’éponge et tente une manœuvre spectaculaire de rapprochement avec Rabat, comme en témoigne la lettre adressée par le chef de l’Etat allemand à son homologue marocain, publiée le même jour de la signature de la convention liant la Chine au Maroc. Et on sait bien qu’en politique et en diplomatie, les coïncidences n’existent pas… sachant que le Maroc joue avec maestria sa carte africaine, ayant su se vendre comme « hub » vers ce continent désormais si convoité. Berlin rompt ainsi sa solidarité avec Paris et Madrid, décidant en solo de renouer avec le Maroc qu’elle voit entreprendre son éloignement économique et géopolitique avec le Vieux Continent.
De son côté, et en investissant au et sur le Maroc, la Chine rejoint les Etats-Unis dans cette région, lesquels Etats-Unis ont bien lu le message à eux adressés et qui dit, en substance, « vous n’êtes pas le seul Grand à être intéressés par nous », le même message étant également exprimé aux Chinois, qui seront tôt ou tard, une fois bien installés au Maroc, appelés à emboîter le pas de Washington en reconnaissant, un jour prochain, l’intégrité territoriale du royaume.
Dans ce jeu du chacun pour soi, l’Europe apparaît encore une fois comme le grand perdant dans la stratégie planétaire du positionnement. Les Américains, avec le Maroc, se sont ouverts une route de plus vers l’Afrique et la Chine y consolide la sienne. Les Anglais, plus opportunistes que jamais, multiplient les accords avec Rabat et les Allemands font volte-face dans leur stratégie marocaine et africaine.
L’année 2022, qui commence fort, semble promettre bien des soubresauts géopolitiques qui compliqueront davantage la lecture des mutations d’alliances en Afrique en général, au Maghreb en particulier et les relations entre l’Europe et l’Afrique seront corrigées, dans l’attente que les atouts et les intérêts des pays de la première soient compris par la première. Si ce n’est déjà trop tard.
Aziz Boucetta