(Billet 547) - Pourquoi les sondages électoraux sont-ils encore interdits ?
Depuis 10 ans, depuis longtemps, depuis presque toujours, chaque élection sur nos terres est précédée par son lot de dispositions juridiques et réglementaires, pour bien encadrer l’opération. Certains malintentionnés appellent cela de l’ingénierie électorale et d’autres, très bienveillants, généralement politiques, considèrent cela comme une avancée démocratique hardie. Soit. Mais on se demande bien pour quelle obscure raison les sondages sont encore prohibés en notre royaume…
Aucune loi n’interdit la tenue de sondages au Maroc, mais un décret ministériel, si. C’est un texte signé par le ci-devant ministre de l’Intérieur Mohamed Hassad qui, d’un trait de plume, en 2016, avait dit tout le mal qu’il pensait de sondages électoraux à la veille des élections. Il affirmait en substance, pour justifier son oukase, que les sondages sont "biaisés", "tendancieux" et "lacunaires", susceptibles d'influencer l'opinion publique. Précisément, un sondage est fait non pour influencer, mais pour éclairer l’opinion publique sur les tendances. Seulement voilà, c’est interdit.
Et pourtant, l’électorat local est tellement insondable qu’une enquête pré-électorale serait porteuse de bien d’enseignements, voire de renseignements, sur ce qui se prépare. Aujourd’hui, avant chaque élection, on marche à l’aveugle. Alors, maintenant qu’on a décidé que le Maroc est une démocratie représentative et qu’un nombre croissant de personnes veulent bien y croire, faisons les choses dans les règles. Pourquoi des sondages ?
1/ Un sondage informe les politiques sur les attentes, sur la demande politique, leur permettant d’affiner et de peaufiner leur offre, par thèmes, par secteur, par région géographique. Les partis sauront que les Oujdis (par exemple) souhaitent cela, que les femmes veulent ceci, que les jeunes attendant telle chose et que les entreprises ou les ruraux en espèrent telle autre. Les programmes ne seront donc pas élaborés par des techniciens enfermés dans leurs bureaux aussi cossus
que rbatis.
2/ Un sondage éclaire l’opinion publique sur les tendances électorales du moment. Oh, on sait, depuis 10 ans, c’est le PJD qui vient en tête, mais est-ce une raison pour jouer l’autruche, sachant que selon un dicton français, « en faisant l’autruche, on s’expose à se faire botter les fesses » ? Un sondage est un instantané de la configuration politique d’une société ; si un parti prend les devants, les autres courent derrière en agrémentant leurs programmes, en enrichissant leurs offres, en poussant un peu sur leurs promesses. Et les électeurs, dûment informés, suivent et tentent de renverser la tendance, ou la confirmer, dépendamment de la position de leur champion.
3/ La tenue des sondages permettrait également à la classe politique de nouer des alliances pré-électorales, en montrant l’adhésion des électeurs à une plateforme donnée dans laquelle se retrouveraient plusieurs formations politiques, qui accepteraient d’éventuels rapprochements, avant les scrutins.
4/ Un sondage permet de savoir et de faire savoir quel personnage politique est admiré, et lequel est honni. Plusieurs partis seraient grandement avantagés de savoir que tel, ou tel autre, de leurs dirigeants ne passe pas, et qu’il faut le changer, le faire taire. Ou le faire parler…
Aujourd’hui, au Maroc, on n’entend plus que des réclamations, voire des récriminations contre la classe politique, sans en savoir exactement les raisons, oscillant entre incompétence et insignifiance, indifférence ou mauvaise gouvernance. Mais à la décharge de nos politiques, ils manquent de cet outil essentiel que pourrait être le sondage, lequel est l’instantané de la demande sociale et des attentes économiques.
Sans sondage, on continuera de naviguer à vue, les électeurs ne sachant pas grand-chose sur leur choix futur et les politiques n’en sachant pas plus sur les électeurs. Mais on peut aller cela une élection…
Aziz Boucetta