(Billet 526) – Omar Radi, Soulaïmane Raïssouni, crève de la faim ou grève de la fin ?
Ils sont tous deux en prison depuis plusieurs mois, presqu’un an pour Soulaïmane Raïssouni… accusations de viol ou encore d’intelligence avec l’étranger… La justice doit se prononcer et il est important de respecter la justice, son rythme, ses jugements et son jugement. Mais cela tarde et la justice doit à son tour respecter un timing, et l’opinion publique. Qui s’interroge…
Omar Radi et Soulaïmane Raïssouni sont donc en prison. La ténacité des autorités judicaires à les maintenir sous clé est aussi virulente et n’a d’égale que celle de leurs amis à les déclarer innocents. Autorités et militants se retrouvent dans une position radicale, les uns en ne jugeant pas encore et les autres en déjugeant la justice et en rejetant tout argument du parquet. Et quand le doute s’instille subrepticement et s’installe durablement entre le juge et le justiciable, la siba guette. Est-ce bien pour le pays, son image, la perception qu’ont ses citoyens de la justice ? Non, définitivement et irrémédiablement non !
Récemment, le département d’Etat US a publié un rapport sur les droits de l’Homme au Maroc, et ce rapport fait presque plaisir à lire, surtout lorsque l’on sait qu’il émane d’une nouvelle administration qui a fait du respect des droits de l’Homme une de ses priorités. Le rapport, fondé sur ceux des ONG défenseures des droits, est une synthèse de la situation des droits de l’Homme dans un pays et, cette année, ce rapport est plutôt flatteur. Il est vrai que le Maroc revient de loin, de ce lointain temps où la police faisait peur, effrayait les gens et menait ses exactions le plus sereinement du monde. Aujourd’hui, il n’en va plus de même : la police joue le jeu de la loi et des droits, toutes choses étant bien entendu perfectibles.
Il reste à la justice de lui emboîter le pas. La récurrence des reports d’audience et le retard dans l’ouverture des deux procès sèment le doute et la perplexité sur le système judiciaire dans sa globalité. Si le juge est sanctuarisé et protégé par son statut, et si éthiquement il doit être respecté et placé au-dessus du brouhaha et du tumulte, il en va différemment pour
le système judiciaire, pouvoir constitutionnel qui peut être soumis à la critique, et qui le doit car il est l’un des fondements de la démocratie que nous voulons. S’il tremble, c’est la démocratie qui vacille, et s’il s’incline devant les puissants, la démocratie s’écroule.
Voici 20 ans, au début de son règne, le roi Mohammed VI avait posé les jalons d’un nouveau concept de l’autorité. Aujourd’hui, ce nouveau concept est ancré dans les mœurs et tout réfractaire à ce concept est sanctionné, muté, voire tout simplement révoqué, parfois même jugé. Après le concept de l’autorité, l’heure est à celui de l’équité, de la justice. L’appareil judiciaire a été entièrement repensé et refondé. Cela doit être valablement et positivement perçu par l’opinion publique car sans justice véritablement et réellement équitable, il ne peut y avoir de société libre et libérée.
Qu’ont donc fait Omar Radi et Soulaïmane Raïssouni pour mériter tel sort, celui de croupir en prison sans jugement ? Ou les faits sont avérés et il faut juger ces jeunes gens, au besoin les condamner, ou ce n’est pas le cas, et il faut les libérer. Le mystère est là, entier et épais, et comme le disait Edmund Burke au 18ème siècle, « Où commence le mystère finit la justice ». Dans l’intervalle, les deux hommes se défendent avec le seul moyen en leur possession, en l’occurrence la grève de la faim pour exiger la tenue de leur procès. S’ils meurent dans ces conditions, ils emporteront avec eux les espoirs d’un Maroc nouveau, prometteur, conquérant… Personne dans ce pays n’a le droit de ruiner les espérances de tout un peuple qui aime tant son pays et qui y croit encore plus, ou voudrait encore y croire…
En 1940, Londres est sous les bombes et à un de ses collaborateurs qui se plaignait que rien ne marchât hormis la justice, Winston Churchill avait eu cette réponse : « Si seule la justice fonctionne dans le pays, ne vous inquiétez pas pour le reste ! ». L’inverse est aussi vrai…
Messieurs les juges, nous vous devons du respect, et nous vous le témoignons volontiers. Vous nous devez la même chose, car après la sécurité nationale, physique et alimentaire, nous avons besoin de sécurité judiciaire.
Aziz Boucetta