(Billet 425)–Les Covid attendent des lits et des respirateurs, le ministre attend des tampons !
L’administration a ses raisons que la raison ignore, pourrait-on dire… La formule pourrait prêter au rire, voire à l’indifférence, tant nous sommes, nous Marocains, affûtés aux lenteurs administratives. Sauf que là, des gens meurent, d’autres souffrent, et les autres, tous les autres, ont peur. Or, la pandémie accélère au Maroc, à peu près au même rythme que les tracasseries administratives… sinon, nous aurions disposé de plus de lits et de respirateurs 100% local.
Il n’est nul besoin de revenir sur l’historique de nos lits et respirateurs… ou plutôt si. Lors de la phase I de l’épidémie, le Maroc avait annoncé, par la voix de son ministre de (entre autres) l’Industrie Moulay Hafid Elalamy qu’il allait se lancer dans la fabrication de lits et respirateurs entièrement conçus au Maroc, pour les Marocains. Puis, durant l’été, le même ministre assiste à des démonstrations de ces lits et respirateurs conçus au Maroc, pour les Marocains. L’évènement est assez important pour que l’on insiste sur la conception marocaine et les destinataires marocains.
En avril, le ministre de la Santé Khalid Aït Taleb suffoquait de joie devant les fabricants et médecins qui l’accompagnaient, leur affirmant, ému, qu’ils sont « la fierté de la nation » pour avoir mis autant en exergue « la solidarité marocaine ». Ces respirateurs seront « certifiés, homologués et validés », dit le ministre. Normal, nous sommes dans un Etat de droit, n’est-ce pas…
Seulement voilà, six longs mois après, non seulement ces engins ne sont ni certifiés, ni homologués et encore moins validés, mais M. Aït Taleb va à la presse pour dire, en substance – et aussi un zeste d’inconsistance – qu’ « il ne suffit pas de sortir un lit et un respirateur. ‘Mziane’, mais leur utilisation requiert un certain degré de responsabilité important parce qu’il y va de la sécurité du patient », ajoutant « vous parlez de quel lit de réanimation ? Ni le lit de réanimation ni le respirateur marocains ne sont encore homologués à ce jour. Il faudrait qu’on éclaircisse la situation ». Lisez que M. Elalamy a fait dans l’effet d’annonce, ce dont il était de fait accusé. Khalid Aït Taled cause « solidarité nationale », mais il oublie la « solidarité gouvernementale »… et même l’empathie médicale !
Alors « éclaircissons la situation » et interrogeons-nous… Dans un
monde confronté à une crise sanitaire majeure, un pays comme le Maroc ne peut-il donc pas, enfin, accélérer ses procédures de certification, d’homologation et de validation de matériels conçus par des Marocains « faisant la fierté » du ministre de la Santé ? A supposer que l’administration soit aussi inattaquable que sa logique d’atermoiement soit expugnable, les dizaines de morts quotidiens et la saturation des capacités hôtelières ne suffisent-elles donc pas à doper nos virtuoses du tampon ? Et même en considérant que les certifications/homologations/validations prennent du temps et soient absolument incontournables, ne peut-on considérer qu’un matériel pas encore tout à fait validé est mieux que pas de matériel du tout ?
Alors, avec plus de 30.000 cas actifs (officiellement recensés) et près de 3.500 morts (qui seront vite dépassés), ne sommes-nous donc pas en droit, voire en devoir, de nous interroger sur qui ment, des deux ministres… M. Elalamy ou M. Aït Taleb ? Force est de constater que malgré sa com débridée, le premier réalise des choses tangibles et affiche des résultats significatifs. Pendant ce temps-là, le ministère de la Santé est truffé de responsables intérimaires, voire éphémères, croule sous les incertitudes avérées et les turpitudes à peine avouées, et les médecins du public (quand ils survivent) se plaignent de plus en plus douloureusement, de plus en plus bruyamment, de la désorganisation des services du ministère de tutelle.
Les lits sont là, les respirateurs aussi, fabriqués et disponibles, en attente désespérée d’usage par des gens en détresse respiratoire, mais le ministre fait de l’administratif, endosse sa blouse de fonctionnaire, et attend en tapant du pied des documents type changements des statuts des fabricants ou encore l’origine des intrants ! Ce faisant, M. Aït Taleb semble avoir oublié ses serments d’Hippocrate ou de technocrate qu’il a prêtés… car, dégât collatéral, par la grâce du ministre de la Santé, voilà une activité à l’export brillamment avortée dans l’œuf.
Inutile de demander au chef du gouvernement d’intervenir, il est (occupé) ailleurs, mais un jour, une fois que l’on aura arrêté le décompte des morts Covid – et pourquoi pas, avant ? –, le Professeur Khalid Aït Taleb risquera bien de rendre des comptes, et de boire le calice jusqu’à la lie. A notre Santé !
Aziz Boucetta