(Billet 383) – Discours royal : être déconfiné responsable ou reconfiné probable…
9 minutes. C’est le temps qu’il aura fallu au roi Mohammed VI pour expliquer les choses, et les choses sont simples : le virus s’étend, se propage, fauche de plus en plus de vies et de plus en plus largement et rapidement, face à une population inconsciente et à un gouvernement/administration dilettantes. Le message délivré par le chef de l’Etat est on ne peut plus clair : face à l’accélération de la propagation du virus, seuls comptent aujourd’hui la mobilisation, le civisme, et le respect des mesures sanitaires.
1/ La forme. Le discours est bref et offensif et le propos, clair et incisif. Le ton est volontairement alarmiste, car l’heure n’est pas, n’est plus à l’auto-congratulation ou à la fière insouciance des débuts, quand nous comptions nos cas et nos cadavres à l’unité, que nous étions cités en exemple et que nous toisions l’Europe endeuillée avec une certaine compassion, même avec une appréhension certaine.
Enfin, le roi Mohammed VI est également apparu en bien meilleure forme que lors de son précédent discours, délivré un mois et demi après l’opération qu’il avait subie, comme cela avait été très largement relevé par les Marocains sur les réseaux et dans les chaumières. Et c’est une excellente nouvelle, et c’est rassurant.
2/ Le Roi et le Peuple. Entre les deux, il y a la tradition ancestrale et la perception mutuelle, davantage que des institutions factuelles. Ce n’est certainement pas un hasard que le Roi, contrairement à son habitude, n’ait pas prononcé une seule fois le mot « gouvernement » ! En revanche, le terme « Etat » a été cité cinq fois, et lui est chef de l’Etat.
C’est lui, le Roi, Mohammed VI, seul, qui prendra « Dieu nous en garde » la décision de reconfiner la population, sur l’avis d’une Commission scientifique qui s’y achemine.
3/ L’Etat est à nu, nous sommes prévenus. Le Roi a rappelé les efforts déployés par l‘Etat, faisant une très claire distinction entre l’avant et l’après. S’il a insisté sur « la nécessité d’une bonne mise en œuvre de ces projets [relance et couverture sociale universelle], dans les délais fixés », et c’est bien qu’il le rappelle à notre fort peu fiable gouvernement, il a jugé utile et nécessaire
de préciser que « cet appui ne peut continuer indéfiniment, car les aides accordées par l'Etat excèdent ses ressources ».
Autrement dit, si reconfinement il y a, il ne sera pas accompagné par les aides, les subventions, les indemnités !! Seul le chef de l’Etat au Maroc peut s’exprimer ainsi, et être entendu. Quand l’heure est grave, et elle l’est, le gouvernement, déjà tétanisé et coupablement divisé, est en toute logique marginalisé.
4/ « Durcissement ». Comme pour certaines pathologies, une rechute peut être grave, car le corps n’aura pas eu le temps de reconstituer ses défenses. Et les défenses, en cas de « rechute nationale » et de reconfinement général, sont dans les ressources psychologiques et les ressources tout court qui manqueront. Or, le Roi a parlé en outre de « durcissement » d’un éventuel reconfinement… Alors le choix est simple : soit une mobilisation et une prise de conscience générale, soit c’est l’inconnu.
5/ Un délai ? Il semblerait, pour être réaliste, que la décision de reconfiner est quasiment prise, car quand un chef d’Etat vient dire, le plus solennellement, à la télévision, dans un discours officiel, très attendu, que « la Commission scientifique (…) pourrait préconiser un retour au confinement », c’est que cela a déjà été fait.
Selon les spécialistes, le Maroc vit aujourd’hui les conséquences de cette funeste décision de maintenir l’aïd al-Adha, avec une moyenne de 1.300 contaminations et 25 morts par jour. Il faudra s’attendre dans les jours qui suivent à un maintien, voire une aggravation des statistiques, avec les grands mouvements estivaux et les non moins grands errements balnéaires. Sachant que nous sommes à quelques jours de la rentrée des classes !
6/ La fin du discours. Contrairement à son habitude, le roi Mohammed VI n’a remercié personne et, au lieu du traditionnel verset de clôture du discours, il a parlé de civisme et de citoyenneté. Chacun commentera cela à sa manière…
Un discours inhabituellement ferme, quoique l’habituelle courtoisie royale n’y a pas manqué. Globalement, si on devait résumer l’état d’esprit du chef de l’Etat, il serait ainsi : je vous le dis gentiment, les choses sont sérieuses, l’Etat n’a plus les moyens d’aider, mais s’il faut reconfiner, je n’hésiterais pas !
Comprenne qui pourra, et surtout qui voudra.
Aziz Boucetta