(Billet 232) – Il y en a OMARre, et l’avenir ne s’annonce pas RADIeux !

(Billet 232) – Il y en a OMARre, et l’avenir ne s’annonce pas RADIeux !

Omar Radi est en prison. Il ne doit pas l’être, mais un juge en a décidé autrement, et c’est normal : Omar Radi peut très bien s’enfuir, quitter la ville, le pays, le continent, et même la terre, et chacun sait que ce jeune homme de 33 ans, qui manie la plume avec dextérité et l’amertume avec sincérité, constitue une grave menace pour la ville, le pays, le continent, et même la terre. Il est donc en prison, pour une semaine au moins…

La décision de détention provisoire d’Omar Radi n’est pas revêtue de l’autorité de la chose jugée car elle n’est pas un jugement définitif rendu sur le fond ; on peut alors la commenter, et soutenir qu’elle est excessive, et injuste. On place un individu en détention préventive quand il risque de se soustraire à son procès, de suborner un témoin, ou quand il représente un danger pour la société. Omar Radi n’est dans aucun de ces trois cas.

Notre justice a l’art et même le don, peut-être même le malsain réflexe, de se mettre en difficulté, en décidant de faire juger par un juge un homme accusé par un autre juge d’avoir fait outrage à un… juge. Certes, un magistrat est citoyen avant d’être magistrat, et a donc le droit de se défendre et d’ester en justice pour laver son honneur qu’il estime bafoué. Certes… Mais l’exercice est périlleux, voire explosif, et le juge chargé de cette très délicate tâche doit agir avec finesse. Or, incarcérer un jeune homme pour délit d’opinion, et aller à contresens de la société qu’il est sensé défendre et protéger n’est pas une marque de grande finesse.

Le juge, aussi indépendant soit-il et aussi vertueux puisse-t-il être, doit appréhender les règles juridiques « en même temps » que les réalités sociales. Aussi, réveiller une affaire 9 mois après qu’elle fût traitée, et classée, et trois mois après la condamnation (et la grâce) de Hajar Raïssouni, ce n’est ni opportun ni raisonné dans un environnement social délétère, énervé et « sinistrosé ».

Un journaliste n’est pas au-dessus des lois, c’est bien entendu… mais un juge l’est-il pour autant ? Le principe de la reddition des comptes s’applique


aux juges aussi, dans une démocratie. Le Maroc est-il une démocratie ou non ? Si la réponse est affirmative, le pouvoir des juges doit pouvoir être clairement contrôlé, et de même que toute personne dépositaire d’une autorité ou d’une responsabilité peut être récompensée, elle doit pourvoir être sanctionnée. Qui contrôle les performances des juges, et qui est en charge d’évaluer celles de ces « contrôleurs » ? C’est tout le système de pouvoirs et de contre-pouvoirs qui doit être questionné.

Aux termes de la constitution, aucune personne n’est sacrée, et le chef de l’Etat avait lui-même en 2011 recommandé de lui ôter son caractère sacré. Les juges sont-ils sacrés ? De la réponse, qui semble être affirmative, à cette question dépendra l’avenir de ce pays, qui s’annonce d’ores et déjà peu RADIeux, comme le pensent et le disent les gens dans les chaumières. De plus en plus.

A quoi bon lancer une Commission sur un modèle de développement si c’est pour laisser développer les anciens réflexes ? Trois membres (MM. Ksikès, Tazi et Benzine) de cette commission ont promptement réagi, malgré leur obligation de réserve, à cette incarcération de M. Radi , et c’est tout en leur honneur.

Par ailleurs, la société civile a presqu’unanimement condamné cette décision. Certains se montrent même agressifs, hargneux, fermés à toute discussion, rejetant le système de justice dans son ensemble et imposant une sorte de dictature de la pensée contre quiconque oserait émettre un avis contraire au leur. C’est le retour à l’âge de pierre sociétal, avec des juges rejetés par les justiciables, et l’avenir s’annonce encore moins RADIeux.

Tout cela est dangereux car les deux blocs que sont la société civile et la justice se radicalisent chacun de leur côté, la première déniant abusivement toute légitimité à la seconde qui abat aveuglément son glaive. Cela risque d’avoir des conséquences sociales et politiques désastreuses sur ce pays qui réfléchit à une porte de sortie de crise structurelle à travers sa Commission de développement.

Il faut libérer Omar Radi. Il faut cesser d’embastiller à tour de bras. Il faut respecter la justice, et les opinions contraires, quand elles ne sont pas des insultes. Autrement, c’est le saut dans l’inconnu.

Aziz Boucetta