La lente mue du RNI
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- 18 février 2018 --
- Opinions
Le RNI continue sur sa lancée, enchaîne les réunions, les meetings et les rencontres. La direction du parti est en passe de boucler sa tournée des 12 Régions du pays pour mettre en place ses structures organisationnelles et décisionnelles à l’échelle régionale, la dernière étant programmée pour la Région Souss Massa le 23 février. Mais ce samedi 17, la rencontre du RNI à Casablanca était différente, sous tous les angles. Retour sur un an de RNIsme.
Un parti qui vient de loin, voire de rien…
Le RNI est connu et reconnu pour être un parti de cadres et de chefs d’entreprises, entre autres. Jadis, cela était mal perçu car on présentait le parti comme élitiste, « un parti de riches pour les riches, avec une mentalité de riche », disait de lui l’un des caciques du parti de l’Istiqlal au début des années 2000. Cela était vrai et le RNI était, de fait, un parti d’entrepreneurs, un parti d’appoint, quasiment apolitique.
Avec Salaheddine Mezouar et l’arrivée « tsunamesque » du PJD, le RNI a commencé à « faire de la politique », négociant, attaquant, contre-attaquant, et se faisant une place de plus en plus visible et bruyante sur la scène politique du royaume. Puis arrivent 2016, les élections de 2016 et la crise politique de 2016… Aziz Akhannouch prend la tête du parti et, contrairement à une idée largement répandue au sein du microcosme politique et dans une partie de l’opinion publique, s’attelle au travail. Cela a donné lieu à une activité soutenue du parti, à la mise en place de ses structures et à l’émergence de nouvelles figures, jusque-là parfaitement inconnues, même si elles sont encore insuffisamment connues, comme les deux patrons de la Jeunesse Youssef Cherri et Yasmine Lamghaouar, comme la nouvelle cheffe du secteur de la santé le Dr Nabila Rmili, et bien d’autres encore.
La figure d’Aziz Akhannouch n’y est pas pour rien. Inaccessible pour les uns qui ne le connaissent pas, avenante pour ceux qui le côtoient, arrogante pour ses adversaires et attachante pour ceux qui travaillent avec lui, le ministre (recordman) de l’Agriculture a pris sur lui de labourer le champ politique, de semer les germes d’une victoire électorale qui placerait le RNI dans le club fermé des partis pouvant espérer un jour former un gouvernement, et de récolter les fruits de son travail, avant de les exporter, comme il vient de le faire lors de ses rencontres européennes.
L’identité se construit
Oh certes, il reste encore beaucoup à faire, comme par exemple convaincre du bien-fondé de l’action du RNI dans un pays qui compte une quarantaine de partis politiques. Le RNI a été créé à une période mouvementée sur le plan politique, au milieu des années 70, et il a été créé par le palais alors, qui avait confié la direction à Ahmed Osman, beau-frère du roi défunt Hassan II. Le RNI est un parti de notables parfois affables, quelquefois peu louables, toujours malléables. Depuis quelques années, et le monde évoluant comme on sait, il fallait construire une identité de ce parti.
En face, sur la scène politique, un PJD au référentiel islamiste - comme vient encore de le rappeler son ancien chef Abdelilah Benkirane -, une USFP en totale déshérence mais (sur)vivant encore sur ses restes idéologiques, un Istiqlal en pleine reconstruction post-chabatiste, et un PAM construit pour détruire, mais qui se détruit sans n’avoir jamais rien construit. Reste le RNI, auquel il manquait une identité.
Pour ce faire, il fallait construire une idéologie sur laquelle fonder l’action à entreprendre, adopter une démarche d’entrepreneur dans un monde qui fonctionne par la logique de l’entreprise, pourvoyeuse d’emplois et créatrice de richesses, ;il fallait également casser les codes jusque-là ancrés dans les esprits des gens. C’est ce que fait Aziz Akhannouch, d’une manière décomplexée, et rapide, à marche forcée.
L’idéologie est la démocratie sociale. L’expression est pompeuse et il est difficile d’en convaincre les Marocains. Mais qu’est-ce que la démocratie sociale ? Succinctement, une démocratie politique est le régime qui repose sur la souveraineté de l’individu-citoyen choisissant librement ses représentants. Une démocratie sociale implique la reconnaissance des intérêts et des droits de ces citoyens et de leurs possibilités d’intervenir dans la vie publique à partir de la place qu’ils occupent dans la société et de l’activité sociale qu’ils y déploient. Il peut y avoir participation politique sans participation sociale, démocratie politique sans démocratie sociale, participative, mais l’inverse est impossible.
PanoraPost a suivi les différentes étapes des partis marocains depuis un an. Si l’USFP s’est auto-figée dans une phase d’attentisme qui promet d’être longue, si l’Istiqlal est en
pleine reconfiguration hésitante, le PAM dans une profonde plongée vers l’inconnu et le PJD en proie à des démons internes de clivage et de sabordage, le RNI a entamé une politique volontaire et volontariste assumée et décomplexée.
Les nouveaux codes s’imposent
A son arrivée, on pensait Aziz Akhannouch comme un politique technocrate, avec tous les avantages techniques mais aussi les inconvénients politiques. Depuis, les meetings se sont enchaînés à une cadence régulière, les universités d’été se sont multipliées et les congrès régionaux se sont succédés.
Conséquence : la parole s’est libérée, au fil du temps, la direction du parti a été malmenée à certains congrès, comme à Marrakech où des dissensions sont apparues entre les membres, des propos rudes ont fusé, avant que tout le monde s’accorde sur la marche à suivre.
Et samedi 17 février, lors de cette rencontre des cadres du parti à Casablanca, un nouveau format s’est imposé. Une scène centrale, autour de laquelle ont pris place les ministres, les membres du Bureau politique, les cadres et les invités. Les nouveaux dirigeants des nouvelles structures ont tour à tour pris la parole, s’adressant à l’assistance plus qu’ils n’ont parlé à la direction. Avocats, ingénieurs, expert-comptables, médecins, femmes, jeunes, tous du RNI (photo ci-contre), ont entendu leurs nouveaux chefs s’exprimer, et mettre la barre haut, très haut, défiant presque les dirigeants du parti et les exhortant à les soutenir dans leurs actions sur le terrain.
Les ministres ont répondu, interrompus quand ils dépassaient les deux minutes qui leur étaient consacrés. Aziz Akhannouch a pris la parole, et dans une phrase symbolique, se tournant vers une partie de la scène ignorée des autres orateurs, a dit : « Il faut parler à tous, ici, comme il faut parler à tous les Marocains, soient-ils de notre camp ou non ».
Les moyens mis en œuvre
Il y a aujourd’hui un sport national au Maroc : la critique des riches… bien que l’amour de l’indigence soit catholique et non musulman… le président du RNI, en acceptant la confiance des cadres qui l’ont placé à la tête du parti qui fut le sien et au nom duquel il a occupé les fonctions de président de Région dans les années 2000, savait qu’il allait devoir mettre à la disposition du RNI d'importants moyens matériels. Et c’est ce qu’il a fait, en gagnant la confiance des membres du parti, fortunés, qui se sont investis, corps, âme et dirham.
L’argent est le nerf de la guerre et la politique est une guerre de tous les jours et de chaque instant. L’Etat finance bien les partis pour leurs campagnes électorales, au nom de la démocratie et des institutions. Mais le fonctionnement d’un parti appelle souvent l’implication de ses membres, comme cela se produit partout dans le monde.
Mais, pour autant, les finances sont contrôlées, à l’image d’une gestion d’entreprise. Un jeune militant du RNI, de Casablanca, nous a expliqué que « les activités sont financées en partie par le siège, et en grande partie par les notables de chaque région, mais le contrôle est rigoureux, comme dans une entreprise ».
Et aujourd’hui…
On n’attaque généralement pas les gens qui ne vous menacent pas… et à l’inverse, on engage le fer avec ses ennemis putatifs. Avant 2016, les attaques de M. Benkirane allaient essentiellement vers le PAM, qui présentait une menace. Aujourd’hui, on voit bien que les piques et les lances du PJD, canal Benkirane, sont dirigées vers le RNI, dans la perspective de 2021 et des élections législatives qui se tiendront cette année. Pas besoin d’une voyante pour prédire que le résultat sera serré entre PJD et RNI.
La polarisation du paysage politique est toujours de vigueur, même si l’on n’en parle pas assez… sauf qu’elle a changé d’acteurs. Avant, c’était PJD vs PAM, aujourd’hui, c’est PJD vs RNI.
Les conditions de cette compétition ont changé, mais la compétition est toujours là, bien qu’elle ait gagné en élégance et en respect mutuel. Les attaques personnelles ont disparu (sauf celles de Benkirane, parti en croisade personnelle contre tous et tout). Les uns et les autres marquent leur territoire et fourbissent leurs armes, dans la perspective des prochaines échéances électorales, et dans le respect et la considération. Nous en sommes désormais à la seconde phase de la constitution 2011, après celle, hargneuse, de la période 2011-2016.
Aujourd’hui, l’USFP ne croit plus en rien, l’Istiqlal veut y croire, le PAM n’a plus la force de croire en quelque chose… Restent le RNI et le PJD : le PJD, peuplé de croyants, croit toujours, et le RNI, qui croît, croit en son avenir.
Et l’avenir apportera sa réponse.
Aziz Boucetta