La méthode Ouahbi : des déclarations pour masquer l’inaction, par Nabil Adel
Décidément, Monsieur Ouahbi persiste et signe, dans ses sorties polémiques qui se suivent et se ressemblent. Ses prises de position aussi bien dans la forme que dans la substance sont davantage celles d’un Youtubeur que du ministre de la Justice du Royaume du Maroc. La dernière en date, et qui continue d’occuper inutilement le débat public, est celle de savoir si les hôtels marocains peuvent exiger un certificat de mariage pour louer une chambre.
Avant de discuter de la portée politique de cette énième sortie inutile, discutons-en les fondements juridiques.
Que dit la loi ?
Justement la loi ne dit rien ou plutôt ne traite pas ce sujet. En effet, cette pratique n’est pas spécifiquement abordée par un texte réglementaire clair, comme l’a noté Monsieur Ouahbi. La justification légale d’une telle exigence tient à l’absence de toute loi ou règlement spécifique qui l’interdit formellement.
En effet, le principe juridique général est clair : « tout ce qui n’est pas formellement interdit, est autorisé » ou « الأصل في المعاملات الإباحة ». Il s'agit d'une règle de liberté individuelle et de responsabilité, fondée sur les concepts de droit naturel. En d’autres termes, si Monsieur Ouahbi ne trouve pas le texte qu’il cherche depuis plus de 20 ans, c’est que le législateur n’a pas jugé utile d’interdire aux hôteliers de s’assurer de la nature de la relation d’un couple avant de lui donner accès à ses services.
De ce fait, les hôtels, sont libres de définir leurs propres politiques et conditions de service. En l’absence de règlements spécifiques ou d’interdiction formelle, ils peuvent mettre en œuvre des conditions de prestation de service à leur propre discrétion, et tenant compte des normes culturelles et religieuses du pays. Cette pratique reste donc une question de « conditions générales de ventes » de l’établissement.
Cette pratique n’est pas sans précédent ni unique au Maroc. De nombreuses entreprises exigent une pièce d’identité à l’entrée de leurs locaux, bien qu’aucun texte de loi ne leur accorde explicitement cette prérogative, dévolue normalement aux agents d’autorité. Cela s’inscrit dans une tendance générale où des mesures de contrôle sont mises en place pour assurer la sécurité de ces établissements, même en l’absence de textes légaux leur conférant cette qualité. De même, l’accès à certaines unités est conditionnée par la présentation d’une pièce d’identité quand il y a des restrications d’âge.
Toutefois cette exigence d’acte de mariage devient indispensable pour se conformer à un autre texte de loi. En effet, en vertu de l’article 490 du code pénal marocain, les relations sexuelles en dehors du mariage sont interdites. C’est justement cette disposition légale qui conduit les hôtels à exiger un certificat de mariage aux couples, afin de se conformer à cette loi et d’éviter toute responsabilité légale. En effet, bien que l’hôtel ne soit pas directement responsable des actions des clients adultes dans leur chambre, il peut être tenu pour complice s’il est prouvé qu’il a facilité ces relations par négligence. Les hôteliers adoptent donc ces mesures préventives pour se protéger de toute accusation de complicité.
Pourquoi une telle pratique ?
Sur un plan plus pragmatique, si les hôteliers n’exigeaient pas un acte de mariage aux couples devant partager la même chambre, leurs établissements se transformeraient en « lieux de passe », un phénomène néfaste qui nuirait à leur réputation et
à la qualité de la clientèle qu’ils ciblent. Aujourd’hui, et avec la prolifération des réservations en ligne, une mafia de location d’appartements à l’heure a infesté des immeubles entiers dans les différentes villes du pays, y rendant l’habitation impossible. Beaucoup de familles doivent partager l’ascenseur le matin quand elles emmènent leurs enfants à l’école, avec des couples qui viennent de finir leur soirée. Et elles doivent s’estimer heureuses quand elles ne sont pas réveillées au milieu de la nuit par de la musique forte, des discussions où les jurons fusent, ou tout simplement par une bagarre qui éclate pour différend sur le prix de « la prestation ».
Or, dans moult établissements touristiques où la clientèle est composée majoritairement de familles, l’exigence d’un certificat de mariage est une mesure préventive, non seulement pour se conformer à la loi, mais pour protéger leur réputation. Les forcer par la loi à accepter du « tout venant » ou des couples qui viennent « juste pour passer une nuit », et souvent pas dans une grande discrétion, c’est compromettre leur fonds de commerce.
Dans ce cas, oui, un hôtel doit inclure la présentation d’un acte de mariage dans ses conditions générales de vente. Cela relève de sa liberté contractuelle de définir les règles qui protégent son nom commercial. Cette liberté contractuelle est inscrite dans le DOC (Dahir des Obligations et des Contrats) qui permet aux entreprises de fixer librement les termes et conditions de leurs contrats commerciaux, sous réserve de ne pas enfreindre les dispositions légales et réglementaires en vigueur.
Pourquoi donc cette polémique ?
Au lieu d’occuper la scène médiatique par des déclarations bouffonnes sur les libertés sexuelles, car c’est bien de cela qu’il s’agit tout le temps, notre ministre de la justice serait bien plus inspiré de s’attaquer aux vrais chantiers de son département, tels que la réforme des tribunaux, la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite. C’est sur des dossiers bien plus cruciaux que les Marocains l’attendent, notamment à la lumière des classements décevants de gouvernance et de corruption de notre pays.
Ainsi sur l’État de droit, le Maroc est classé 90e sur 139 pays. Sur l’efficacité du gouvernement, on est classé 119e sur 193 pays. Sur le plan de la qualité de la régulation, notre pays est 123e sur 193 pays. Quant à la perception de la corruption, notre classement n’a connu aucune amélioration ces dernières années. En 2023, le Maroc était classé 97e sur 180 pays avec un score de 38 sur 100. Ce score déjà médiocre a même regressé par rapport à 2022, indiquant un manque de volontarisme dans la lutte contre ce fléau.
C’est sur ces chiffres honteux qu’on attendait des mesures fortes de la part du ministre, et non pas des sorties polémiques pour faire du sensationnel et escamoter son incapacité à traiter les vrais sujets. On peut critiquer ce gouvernement sur le manque de résultats, mais on ne peut pas reprocher à ses ministres le manque d’action, à l’exception du sieur Ouahbi qui n’a mis en place aucune réforme qui marquera son passage. Ses actions se résument à des déclarations ou comme disait Charles de Gaulle « Quand on ne peut pas agir, on fait des discours. » On mérite mieux !
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Le Professeur Nabil Adel est économiste, enseignant-chercheur en économie et géopolitique à l'ESCA