Et si on arrêtait de parler de l’Algérie ?, par Hatim Benjelloun
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- 30 mai 2023 - 07:25 --
- Opinions
Vous connaissez certainement ce voisin qui utilise sa perceuse, matin, midi et soir, 7/7 jours ? Pire, il est tout aussi outillé d’arguments fallacieux pour vous expliquer qu’il est dans son bon droit. Impossible de travailler, de se reposer ou tout simplement de s’écouter chez soi. Bref, c’est à nous d’habiter ailleurs.
Alors je ressens quasiment la même chose face à la communication médiatique de notre sœur-Algérie (ou Algérie-sœur). A la différence près que le Royaume a des racines ramifiées millénaires et demeure donc indétrônable dans son espace-temps. Donc, dans l’attente de la conquête spatiale, point de déménagement pour nous.
70% de l’actualité algérienne est dédiée au Maroc (un chiffre d’apparence caricatural mais de source diplomatique, il n’est pas très éloigné de la réalité). Derrière chaque action diplomatique algérienne, on distingue plus ou moins explicitement le spectre marocain. Stratégie diplomatique agressive, parasitaire, obsessionnelle… Point de jugement ! Chaque Etat est souverain face à sa politique étrangère. Ceci dit, cette surmédiatisation de l’action algérienne contre le Maroc active directement mon cerveau reptilien et bloque, en conséquence, le reste de mes sens, indispensables à un raisonnement serein. Est-ce l’objectif recherché ? Eveiller nos instincts les plus primaires pour penser notre relation à notre voisin ? Naturellement, il y a un peu de cela. Mais ce serait bien peu face aux moyens déployés. Alors où veut en venir notre éternel voisin ? Je suppose : l’espoir de dominer l’espace de communication, paradoxalement, face à une situation d’acommunication (« je ne veux rien savoir ») et d’incommunication (« on ne se parle plus »). Rejetant ostensiblement toute intermédiation ou médiation, même hypothétique, l’Algérie dissout l’action diplomatique au profit de la propagande médiatique. Fermant tous les circuits officieux de communication, dans un contexte où le Maroc ne dispose plus de ses anciens hommes d’Etat-passerelles, armés de leurs amitiés ou relations personnelles avec le voisin de l’Est et toujours disposés à éteindre les feux et à nettoyer les cendres, l’Algérie espère aveugler notre propre diplomatie.
Seulement, la diplomatie est mère du temps, de la patience et de la discrétion… (et du respect aussi !). La communication est sœur de la vitesse, de l’instantanéité et de l’indifférence face aux réels. L’Algérie souhaite accélérer quelque chose. Mais quoi donc ? La surinformation, couplée d’une surcommunication, rend encore plus difficile la compréhension des enjeux et des objectifs. On peut donc imaginer le pire ! Mais rien ne court plus vite que notre monde VUCA (volatile, incertain, complexe et ambigu) actuel. Construire toute l’action politique et géopolitique d’un Etat à travers le prisme d’un seul facteur (en l’occurrence le Maroc), cela revient à piloter un avion avec un seul voyant : le pare-brise du cockpit. C’est dangereux ! Pour eux, pour nous et pour la région.
Comment réagir ? Loin de moi l’idée d’apporter une solution toute faite. Mais je propose déjà de ne pas sur-réagir. Il m’arrive de le faire. Conséquence : je finis, inconsciemment, par rejouer le bruit crissant de la perceuse. Puis, durant les quelques rares silences dans ce tohu bohu, la sagesse me revient. Certes, le Maroc arrive à calibrer et à flécher ses réponses sur la scène internationale, en y mettant l’art, les mots
et l’éloquence. Cependant, quand tout le monde s’exprime, tandis que personne n’écoute, certains observateurs ne voient guère qu’une sempiternelle chamaillerie ou encore pire, un jeu d’échos (et d’égos) réverbérant, donc stérile. Aussi, jouer le jeu de la diatribe médiatique, c’est légitimer leur manière de faire, à savoir communiquer à travers les stéréotypes : un mode de communication qui s’attaque d’abord à l’imaginaire de l’émetteur (et de ses capacités cognitives) avant d’atteindre celui du récepteur. A force de voir les autres de manière caricaturale, c’est notre perception de nous-même qui se déforme. Certains de nos discours ont beau être bienveillants, citant souvent l’Algérie comme « sœur », rappelant toujours notre histoire commune, soulignant souvent notre potentiel d’union, etc., l’impact réel s’affaiblit face à la force du déconstructivisme et/ou tout simplement face à la mauvaise foi de notre voisin.
Alors je préconise le silence. Non pas le mutisme. Le silence qui pense. Oui, c’est vrai, la légende voudrait que le silence soit suspicieux et douteux (« On cache quelque chose »). Il est souvent confondu avec le vil secret. Mais j’ai encore les souvenirs de classes d’école où le maître/professeur nous imposait collectivement le silence pour mieux recadrer et créer les meilleures conditions d’écoute. Poser le silence comme stratégie de communication, c’est d’abord, rechercher son propre équilibre, accorder ou raccorder la raison à l’émotion, structurer et organiser le flux d’information « milliardissime », mais surtout, laisser place à l’intuition des grands décideurs sans être perturbé par les éléments extérieurs. Après chaque silence, toute parole rayonne de sens. L’issue : sortir du silence au bon moment, au bon endroit en s’adressant au bon public. Tout le monde connaît cette fameuse anecdote qui a fait l’histoire du Royaume-Uni. En mai 1940, Lord Halifax et Winston Churchill se sont mis d’accord pour nommer Lord Halifax premier ministre et Winston Churchill son second. Lors de la réunion de nomination avec le Chamberlain, ce dernier déclare : « Je passe la parole à Lord Halifax pour mener à bien le royaume. Sir Winston Churchill, acceptez-vous d’être son second ? ». Churchill, imperturbable, fumant son cigare, se tait plus d’une minute ! Brusquement, au bout de cet interminable laps de temps, Lord Halifax, face à la force intimidante du silence, déclare timidement : « Je pense que Sir Winston Churchill doit être le futur premier ministre de l’Angleterre ». Vous connaissez la suite…
Laissons la diplomatie, et ses satellites, agir dans le secret et l’intelligence des mots, et taisons nos tentations médiatiques. Le curseur n’est pas facile à placer, mais l’excès de communication, aussi brillante soit-elle, peut laisser transpirer de la crainte ou de la fébrilité.
Evidemment, on pourrait participer à l’inflation du bruit, pour mieux agir dans l’ombre. On pourrait déjouer les attentions et les intentions. On pourrait même éplucher les mesquineries et les supercheries. Mais comme l’ombre se courbe derrière la lumière, je préfère ce silence qui surplombe le bruit.
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Diplômé en Science politique à l’université de Bordeaux IV avec une double masterisation en Intelligence et Communication Stratégique, Hatim Benjelloun est actuellement gérant associé du cabinet Public Affairs & Services. Il est également auteur du livre "Le Maroc c'est l'autre" (éditions PASS) ainsi que de chroniques généralistes au style décalé sur l’actualité marocaine.
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