Où est donc passée la sécurité dans ces Lieux Saints ?, par Abdallah Damoune
Quand cette immense grue s’est effondrée sur les centaines de pèlerins dans la Grande Mosquée de La Mecque et qu’elle a emporté la vie de 107 personnes en quelques secondes, la nouvelle s’est très vite répandue dans les réseaux sociaux. Les musulmans ont aussitôt commencé à échanger leurs condoléances et à partager leur tristesse comme si les défunts étaient des membres de leurs familles. C’est là une preuve de la solidarité entre les croyants et une marque de compassion également.
Certains ont même été encore plus loin que les habituelles condoléances. L’un d’entre eux a ainsi inscrit sur son mur Facebook : « Ils sont morts à un moment extraordinaire, un jour extraordinaire, dans un endroit extraordinaire ; bienheureux soient-ils d’avoir eu ainsi l’honneur de l’endroit et du moment. Que Dieu ait leurs âmes en Sa sainte miséricorde ».
Mais personne parmi les internautes ne s’est mis en colère ni n’a exprimé sa fureur, demandant le jugement des responsables ou au moins réclamant une enquête en urgence et en priorité. Ils ont tous repris leur profession de foi, étant convaincus que les défunts iront au paradis… sachant que si ces personnes tuées avaient ressuscité et répondu aux questions qu’on leur aurait alors posées de savoir si elles voulaient vraiment mourir ce jour-là, la plupart auraient répondu par la négative et auraient expliqué qu’elles auraient encore voulu vivre, un peu plus, parmi leurs proches et leurs amis.
Ce qui s’est passé à la Grande Mosquée traduit un état d’esprit plutôt étrange, loin de l’islam et de ses enseignements, mais proche d’une attitude de soumission et d’acceptation de ce qui viendrait de l’au-delà, même si un malheur pouvait ou devait survenir par la faute, l’inconséquence et l’indifférence des responsables, lesquels sont supposés protéger les croyants et les pèlerins se trouvant dans la maison de Dieu et non de laisser des grues gigantesques s’effondrer sur les têtes et les corps.
Ce qui s’est produit à La Mecque est une chose abjecte, à tous les nivaux. En effet, la grue surplombait la Grande Mosquée et les fortes précipitations qui sont tombées étaient prévues de longue date ; or, le progrès technologique qui caractérise notre époque vaut aussi pour l’Arabie saoudite. Les services météorologiques sont de plus en plus précis dans leurs prévisions et donnent le temps, ainsi que la nature et le volume des précipitations plusieurs semaines à l’avance. Alors comment ces gens ont-ils pu laisser cette grue là où elle était, puis incriminer le temps et la météo ?
Plus étrange encore est que les expressions utilisées et les propos tenus par les internautes sont les mêmes que ce qui nous été servi par ceux qui devraient plutôt nous expliquer rationnellement ce qui s’est produit. En effet, quelques instants après la catastrophe, un haut responsable saoudien est venu aux médias dire tout le mal qu’il pensait de la météo et de la pluie, avant de souhaiter le paradis aux tués, comme s’ils étaient particulièrement chanceux d’avoir reçu ces centaines de tonnes d’acier sur leurs crânes.
Ce type n’a absolument pas parlé d’une enquête qui serait lancée pour
définir les responsables et les responsabilités, de même qu’il n’a aucunement évoqué des sanctions éventuelles à prendre contre ceux qui ont été à l’origine de ce drame, causant des dizaines de morts et des centaines de blessés. Il a simplement évoqué les pluies inattendues, puis il a causé eschatologie.
Seul Dieu a le pouvoir de la vie et de la mort sur les êtres et seul lui a aussi celui de récompenser ou de punir. Mais lier les manquements, l’indifférence et tous ces morts au paradis et au martyre, voilà qui n’a rien à voir avec l’islam. L’islam, le vrai, est celui qui place chacun devant ses responsabilités. C’est ce même islam qui nous apprend l’histoire de cette femme qui a été au paradis, totalement absoute de ses péchés, pour avoir donné à boire dans son soulier à un chat assoiffé, et l’histoire aussi de cette autre femme qui a torturé un animal puis a été envoyée en enfer… Comment donc aller au paradis ou en enfer selon le comportement que l’on a envers un animal, puis que certains viennent ensuite dire que l’islam saura reconnaître les siens morts sous une grue, et les distinguera en les désignant pour aller au paradis ?... Certes, tous ces morts sont des martyres, mais ceux qui les ont martyrisés doivent rendre des comptes et être punis.
Ce qui s’est passé à La Mecque montre cette curieuse façon de penser chez un grand nombre de musulmans, en l’occurrence placer leur cou sur l’échafaud puis penser que c’est là une volonté divine. Mais cela ne peut être généralisé à l’ensemble des musulmans ; en effet, si ce qui s’est produit à la Mecque était survenu en Malaisie, en Indonésie ou en Turquie, des pays musulmans comme chacun sait, la première chose que les habitants de ces nations auraient demandée est la mise en jugement des responsables éventuels. Et si l’endroit du drame est sacré, cela n’enlève rien à l’implication des uns et des autres. Paradis et enfer n’ont rien à voir là-dedans ; bien au contraire, les choses auraient été bien plus graves car les responsables auraient mis en danger des gens venus dans un sanctuaire sain et en principe sûr et sécurisé.
Comment expliquer donc ces versets du Coran : « Qu'ils adorent donc le Seigneur de cette Maison (la Kaaba), qui les a nourris contre la faim et rassurés de la crainte » (106 : 3,4), alors même que quand les gens vont en pèlerinage à La Mecque, ils s’enlacent et s’étreignent comme s’ils allaient au-devant de la mort ou, au moins, vers un lieu où leurs existences seraient mises en péril ? Où est donc cette sécurité passée dans ce lieu où le Créateur l’a pourtant promise et garantie ?
Les musulmans se sont effondrés par rapport aux autres nations non en raison de conditions militaires ou économiques, mais parce qu’ils ne sont plus capables de réfléchir sainement. Ils lient tout à la Providence et au Destin, et ils se sont émancipés de toutes responsabilité dans quoi que ce soit. Et c’est la raison pour laquelle tant de dirigeants musulmans se sont mis à disputer sa divinité au divin.
Al Massae