Les turpitudes du marchand éthiopien, par Taoufiq Bouachrine

Les turpitudes du marchand éthiopien, par Taoufiq Bouachrine

C’est le jeu de la barbichette entre l’Etat marocain et la holding Corral qui possède la raffinerie la Samir, et ce petit jeu traîne en longueur, le gagnant étant celui qui saura résister le plus longtemps et attendra le cri de renoncement de l’adversaire. L’entreprise saoudienne, propriété du milliardaire al-Amoudi, a choisi cette période de vacances pour résorber ses problèmes financiers en retenant la posture du conflit. Elle a donc annoncé l’arrêt de son activité de raffinage, frappant de stupeur le gouvernement, ses propres employés et l’opinion publique qui craint ainsi une pénurie en hydrocarbures, sachant que la SAMIR détient 70% de ce marché au Maroc.

Al-Amoudi a donc choisi une stratégie consistant à menacer la sécurité énergétique du Maroc pour contraindre le gouvernement à venir négocier avec lui les moyens de remédier à la situation financière de son entreprise qu’il avait acheté en 1995 pour 400 millions $ alors même que la valeur réelle du raffineur dépassait le milliard. Le marchand de double nationalité saoudienne et éthiopienne a une longue expérience d’investissements dans le tiers-monde. Il maîtrise la technique de contournement des dispositions des cahiers des charges ; il sait comment éviter le paiement des impôts et il est passé maître dans l’art de traire la vache jusqu’à la dernière goutte de lait avant de la revendre à ceux qui la lui avaient cédée en réalisant de fort intéressantes plus-values.

Et ainsi donc, M. al-Amoudi avait acquis une entreprise ultra-sensible pour la moitié de sa valeur… Il avait obtenu de son ami le ministre de la privatisation d’alors Saâïdi la faveur du monopole sur le secteur durant 10 ans, avec interdiction aux entreprises de s’approvisionner en hydrocarbures en dehors de la SAMIR… Il n’a pas respecté ses engagements exprimés dans les cahiers des charges, pas plus qu’il n’a investi le quart du montant qu’il devait pour moderniser les installations et améliorer qualitativement sa production…  M. al-Amoudi a fait de l’or avec cette entreprise, et pas de l’or noir, mais jaune… Il l’a faite crouler sous les dettes du fait d’une mauvaise gestion et de la confusion entre les affaires et d’autres activités, et le voilà qui, aujourd’hui, se met en ligne pour gagner encore plus en glanant d’autres faveurs au détriment du contribuable marocain. Il refuse de s’acquitter de la TVA due et des droits de douanes qui se montent à plus de 14 milliards de DH.

Pour couvrir ses dettes, il cherche des ressources dans nos poches et non dans ses propriétés et affaires d’Europe, d’Amérique et d’ailleurs.

L’Etat n’a pas vraiment apprécié l’offense, pas plus qu’il n’a accepté qu’un investisseur étranger vienne mettre en péril sa sécurité énergétique en se jouant d’un secteur aussi sensible que


celui des hydrocarbures. Alors, comme première mesure préventive, il a placé sous séquestre les comptes bancaires et les actifs de l’entreprise puis, dans un deuxième temps, il a refusé l’accès aux ports des bateaux livrant le pétrole, du moins jusqu’à ce qu’al-Amoudi paie ses dettes au fisc et à la douane.

Par ailleurs, et la décision a été prise en haut lieu, l’Etat a décidé une politique de fermeté et de rigueur à l’égard de ce « joueur » qui considère l’économie nationale comme un casino dans lequel il viendrait se remplir les poches, avant de s’en aller encore plus riche qu’il n’était venu. Puis les pouvoirs publics ont refusé toute intermédiation des Saoudiens dans cette affaire. On a également demandé au gouvernement de se montrer intraitable, de ne pas renoncer à un seul dirham dû par cette entreprise qui a considéré à tort que le Maroc allait céder et/ou se laisser berner et que son gouvernement allait s’incliner devant la pression de lobbies, d’avocats et de médias qui allaient la défendre dans une situation dont elle est pourtant seule responsable.

Le problème est que le Maroc sera de toute façon perdant, même s’il gagne son bras de fer avec le cheikh al-Amoudi et la société Corral. Pourquoi ? D’abord parce que  si la SAMIR s’effondre, et c’est le scénario le plus probable, elle laissera une ardoise à milliards de DH dont ses actifs et avoirs ne valent même pas le quart… Ensuite, une possible faillite ferait plonger également les banques qui perdront des dizaines de milliards de DH, lesquels viendront s’ajouter aux créances en souffrance déjà détenues sur les gros promoteurs immobiliers entre autres… Enfin, 1.200 employés se trouveront en situation de précarité après avoir travaillé des années durant dans une société qui ne vaudra bientôt même pas un kopeck…

Aussi, il appartient à l’Etat de mettre sur pied dès à présent un pool d’avocats qui, au Maroc et à l’étranger, traqueront la société Corral et ses avoirs disséminés à travers le vaste monde, afin que les travailleurs ne perdent pas leurs droits. Quant au raffinage, il ne constitue aucun problème car le Maroc pourrait prendre exemple sur tous ces pays qui ne raffinent plus le pétrole brut mais achètent leur carburant prêt à l’emploi. Il suffira juste de pouvoir assurer des stocks suffisants pour faire face aux périodes de pénurie éventuelles.

Qui est responsable de tout cela ? Ceux qui, un jour, ont décidé de vendre les biens appartenant à l’Etat sans s’assurer de la qualité et de la moralité des acquéreurs, sans s’être montré fermes sur le respect des clauses des cahiers des charges, et sans protéger le peuple et assurer sa sécurité…

Honte à tous ceux qui se sont rendus complices de ce qu’il faut bien appeler de crime.

Akhbar Alyoum