Pourquoi donc les Marocains croient-ils que nous sommes plus que 34 millions d’âmes ?, par Abdallah Damoune
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Les Marocains ne croient pas les résultats du recensement général de la population et pensent plutôt qu’il y a anguille sous roche ; autrement dit, ils estiment que des ennemis obscurs de la nation se sont invités dans cette histoire pour annoncer qu’il existe moins de 35 millions de personnes sur cette terre, pour des raisons encore plus obscures…
Le dernier comptage de la population en ce pays remonte à plus de dix ans et depuis ce temps-là, les gens pensent qu’ils sont plus que 40 millions d’individus… las, la surprise a été énorme de découvrir que nous ne sommes, finalement, que 34 millions de personnes.
Ils ont été beaucoup à affirmer que ces résultats sont truqués et/ou tronqués, d’autres ont pensé, et pensent toujours, que les recenseurs n’ont pas correctement fait leur travail, et une troisième catégorie de gens estime que des comploteurs, marocains et étrangers, se sont arrangés pour dire que nous sommes en si petit nombre… et il y a bien d’autres versions à tout cela.
Mais alors, pourquoi tout ce monde-là pense que nous sommes bien plus nombreux que l’effectif annoncé. Et pourquoi ont-ils été beaucoup à vitupérer en apprenant que nous étions moins de 40 millions d’individus vivant au Maroc ?
Les Marocains, il faut le dire, vivent l’encombrement partout et tous les jours que Dieu fait, et voilà pourquoi ils assurent être en plus grand nombre que ce qui a été annoncé. Dans les avenues et sur les boulevards, dans les souks hebdomadaires et dans les grandes surfaces, les gens sont toujours en surnombre et se bousculent des épaules. Dans plein d’endroits, les gens se font dépasser par d’autres, une chose que l’on ne voit que rarement sur cette terre.
Dans les files d’attente pour bus et pour taxis, les clients se marchent sur les pieds et tentent tous de passer et d’embarquer, partant du grand principe que « après moi, le déluge ». Ils pensent tous qu’ils sont très nombreux et que leur tour n’arriverait jamais s’ils l’attendaient bien sagement, et donc ils optent pour le désordre, le chaos et la loi de la jungle.
Les Marocains estiment être bien plus que 34 millions de personnes car les cafés sont plein à déborder et à chaque ouverture d’un nouveau troquet, les gens affluent sans déserter les autres qui continuent d’afficher complet. D’où viennent donc tous ces gens si nous n’étions que 34 millions d’âmes ?
Les gens ne croient pas non plus à cette fable de 34 millions car les émigrés sont, à eux seuls, quelques 6 millions de personnes, et ils pensent impossible qu’un peuple de 34 millions d’individus puisse avoir autant de gens dehors, comme si leur terre était définitivement encombrée et qu’ils en débordaient. Il est bien difficile, pensent-ils, qu’une nation puisse « exporter » ainsi 20% de sa population un peu partout dans le monde. Cela n’arrive même pas en Chine, où les habitants sont pourtant près d’un milliard et demi de personnes.
Et ce
n’est pas seulement l’émigration légale qui conduit les Marocains à penser qu’ils ont été sous-évalués, car l’émigration clandestine est là aussi pour les en convaincre. Dans le seul détroit de Gibraltar, il y a des milliers de corps engloutis durant les dernières décennies dans leur tentative de fuir le plus beau pays du monde. Existe-il une autre nation au monde où autant de personnes ont mortes en essayant de voguer vers un ailleurs plus prometteur ?
Les Marocains sont persuadés qu’ils sont en grands effectifs car ils ne trouvent jamais d’emplacements pour leurs voitures ; ils passent souvent bien plus de temps à trouver où garer leur véhicule que le temps passé à faire un voyage, et alors ils l’abandonnent sur les trottoirs, mêlant alors les hommes à la ferraille, ce qu’on ne voit même pas à Shanghaï, une ville où pourtant la densité est la plus forte au monde, ou presque.
34 millions, c’est bien peu pour une population qui, l’été venu, ne trouve pas où se positionner, debout, sur une plage. A Loudaya, à Rabat, une fourmi ne saurait se caser sur la plage au mois d’août, une plage où les estivants se disputent quelques centimètres carrés d’eau…
Les gens ne peuvent croire qu’ils sont moins de 34 millions alors qu’ils ne trouvent que des miettes des richesses de leurs pays. Oh, ils entendent bien parler de phosphates mais ne savent où va son argent ; ils savent bien qu’ils ont des milliers de kilomètres de côtes, mais s’interrogent sur le sort de leurs richesses halieutiques. Ils voient les montagnes, constatent les forêts, avisent les fleuves et s’interrogent toujours pourquoi les criquets infestent nos arides contrées…
Si les Marocains ne sont pas plus de 34 millions d’habitants, comment expliquer alors que ces prédateurs de l’immobilier se soient si vite et si puissamment enrichis, au point de figurer dans le gotha des milliardaires du monde ? Pourquoi ont-ils donc construit ces millions de cages à poules vendues à prix d’or, alors qu’eux ont employé cet argent à l’extérieur, dans l’acquisition de palais, de villas et de chalets dans les plus beaux coins du monde ? Même en Chine, les promoteurs ne se sont pas autant enrichis…
Comment faire comprendre au peuple que nous sommes 34 millions d’âmes alors que nous avons 46 millions d’abonnements téléphoniques ? De quelle manière leur faire admettre qu’ils ne sont que 34 millions alors que leur Etat entretien plus de 120.000 véhicules de fonction, alors même qu’aux Etats-Unis, où la population excède les 300 millions, il n’y a que 70.000 voitures officielles, et qu’au Japon, où ils sont 130 millions de personnes, qui nous dépassent en années-lumière en matière de progrès et de développement, il n’existe que 3.500 véhicules d’Etat ?
La réalité est simple… Nous sommes effectivement 34 millions mais nos contradictions se comptent en milliards. Nous sommes 34 millions, et chacun de nous a autant de contradictions et de paradoxes en lui.
Al Massae