(Billet 1114) - Maroc-élections : Est-il vraiment nécessaire d'attendre la fin de mandat ?
Depuis que le roi Mohammed VI est monté sur le trône, le calendrier électoral a été respecté ; une élection tous les cinq ans, à l’exception notable de 2011, avec le mouvement social, le changement de constitution et les élections (légèrement) anticipées. En 2021, re élections, et une majorité étrange s’est constituée, et depuis elle gouverne le pays… enfin, « gouverner »… Mais il est rare, inédit, inhabituel, et pour tout dire, exceptionnel d’enregistrer un tel degré de colère et de rejet d’un gouvernement, comme pour celui d’Aziz Akhannouch. Alors la question se pose : Est-il vraiment nécessaire d’attendre la fin du mandat ?
Le 8 septembre 2021 au soir, alors que les premiers résultats tombaient et que les premières indiscrétions apparaissaient, le Maroc croyait avoir trouvé la combinaison gouvernementale magique, en l’occurrence une technocratie politique, ou une politique technocratique. Avec un doux mélange entre les idéologues conservateurs de l’Istiqlal, les agitateurs d’idées (confuses peut-être mais idées quand même) du PAM, et les technos autoproclamés « socio-démocrates » du RNI.
Mais personne n’avait pensé que la puissance bleue du RNI allait tout rafler, phagocyter l’ensemble, réduisant les deux autres partenaires au rôle de figurants. Aziz Akhannouch a tenu à prendre la place centrale dans ce gouvernement, et c’est normal, puisqu’il en est le chef. Le problème est qu’une fois arrivé à ses fins, il s’est tu, sauf quand il égrène les millions et les milliards, se préoccupant peu de la vraisemblance de ses chiffres. Le Maroc s’est donc retrouvé avec un chef de gouvernement silencieux, fugace, inaccessible, limite hautain, ne parlant que quand il le décide, sur ce qu’il décide, et de la manière qu’il décide.
A côté du silence observé par le chef du gouvernement, les problèmes ont commencé à s’accumuler et, dans le même temps, les grands projets que M. Akhannouch s’est engagé à réaliser traînent le pas. La réforme de la santé, dans le cadre de la protection sociale, n’est peut-être pas encore un échec mais disons qu’elle ne prend pas le chemin du succès. L’éducation nationale, dont la réforme a été correctement mise sur les rails, a été torpillée par une confusion gouvernementale et une cacophonie syndicale, avant de changer de mains, troquant le très expérimenté mais très docile Chakib Benmoussa par un illustre inconnu qui peine à prendre ses marques. Peu de gens connaissent et sauraient identifier les deux ministres de la Santé et de l’Education nationale…
Les chantiers politiques et sociétaux du gouvernement sont quasiment à l’arrêt ou menacent d’échouer : rien sur la corruption, en dehors du satisfecit affligeant du ministre Mustapha Baitas ; la législation contre l’enrichissement illicite est toujours aussi pauvre, indigente même ; la loi sur la grève patine, tangue, glisse, tombe, sous l’effet de l’approche sécuritaire proposée par le gouvernement à un parlement qui vote tout ce qu’on lui propose et des syndicats qui, avec force, s’opposent ; les Marocains du monde, malgré l’insistance royale, peinent à se voir consacrer une véritable politique publique ; la réforme du code de la famille pâtit toujours d’un silence du chef du gouvernement, pourtant enjoint à communiquer par le chef de l’Etat qui a fait sa part de travail et qui attend que M. Akhannouch fasse la sienne.
Tout cela pourrait être normal et entrer dans la configuration classique d’un chef de gouvernement qui aurait échoué, ou est en passe de le faire. Cela arrive. Mais ce qui aggrave les choses est la convergence de soupçons sur la mauvaise gouvernance, voire l’incroyable indifférence concernant les chantiers de l’éthique politique. Et les conflits d’intérêt. On en parle abondamment dans les salons et dans les cafés, dans les administrations et dans les entreprises, partout. M. Akhannouch a déjà eu trois ans pour apporter des résultats et en trois ans, force est de constater que le bilan est maigre et, plus grave, considérant la personnalité et le mode de gouvernance du chef de gouvernement, ce bilan ne donne aucune perspective d’amélioration.
On attribue à Einstein cette idée que « la folie, c'est se comporter de la même manière et s'attendre à un résultat différent ». Et du coup, comme on dit désormais avec inélégance, les discussions de café et de salons se transforment en une colère sourde, rentrée, refoulée, face à l’inflation, aux riches qui s’enrichissent et aux autres, les pauvres, qui glissent toujours dangereusement vers leurs limites, face à cette indifférence aux conflits d’intérêts qui fleurissent ici et là… La colère.
Aussi, poursuivre cette expérience gouvernementale avec le même chef de gouvernement et s’attendre à une brusque amélioration des choses dans l’année et demie qui reste à cette mandature ne serait-il pas une folie ?
Il n’y a, dit-on, que les sots qui ne changent pas d’avis. Or, M. Akhannouch est un homme assurément intelligent et il pourrait changer d’avis et de comportement, mais aura-t-il le temps d’obtenir des résultats ? Il semblerait que dans ces 18 mois qui lui restent à diriger ce gouvernement, il n’aura que le temps de nous en faire perdre ! Après 14 années passées à l’Agriculture, le Maroc se découvre sans eau et la politique agricole menée jusque-là est questionnée ; après 10 ans de décompensation des prix des hydrocarbures, les Marocains découvrent, et souffrent, de prix élevés des carburants, qui poussent tous les autres prix vers le haut (cela s’appelle l’inflation) et que le conflit d’intérêt, dûment établi par un pourtant très prudent Conseil de la concurrence, est régulièrement épinglé par le même Conseil, bien que trop prudent. Quant à la lutte contre la corruption, il semblerait que le gouvernement actuel lutte contre … cette lutte.
Il reste cinq ans à l’organisation du Mondial chez nous, un événement qui suppose une préparation minutieuse des infrastructures, mais qui nécessite aussi une société qui se prépare à l’arrivée de millions de gens d’autres cultures, avec d’autres comportements ; ce mois de compétition, le Maroc sera exposé en vitrine, face au monde. On ne peut rater ce rendez-vous et pour s’y préparer, cinq ans forment un délai raisonnable. Mais il faut en retrancher l’année et demi qui reste à ce gouvernement qui, s’il érige des stades et construit des routes, ne prépare pas l’ambiance et l’environnement qui devront régner en 2030, quand les caméras du monde entier seront braquées sur le Maroc.
Aussi, au vu des résultats obtenus (chômage en hausse, inflation aussi, éthique en berne, le moral aussi) et se fondant sur le bons sens d’Einstein, la question vaut d’être posée : « Est-il vraiment nécessaire d'attendre la fin de mandat pour organiser des élections ? ».
Aziz Boucetta