(Billet 1102) – Mauritanie – Maroc – Emirats Arabes Unis, le mystère entretenu…
Il se passe indéniablement quelque chose entre Rabat et Nouakchott. On en a trop dit ou pas assez ou, pour être plus précis, on a trop dit et pas assez. Cela signifie qu’ « on » veut que cela se sache, mais pas trop… du moins pour l’opinion publique. Les décideurs d’ici et du monde, eux, doivent savoir ce qui se passe. Que se passe-t-il ? Là encore, comme pour la (courte) visite de Xi Jinping au Maroc, on en est réduit aux suppositions. Alors supposons…
Les relations entre la Mauritanie et le Maroc sont faites d’histoire, de mémoire et de cœur. Indépendante en 1960, la Mauritanie avait dû attendre plusieurs années, 10 environ pour que Rabat reconnaisse enfin son statut d’Etat indépendant et souverain. Il avait fallu des tractations secrètes entre la France et l’Algérie, avec feu Hassan II à la manœuvre, et aussi tordre le bras un peu aux Istiqlaliens de l’époque, Allal el Fassi à leur tête, qui avait dû affronter l’ire d’Oufkir après avoir refusé cette reconnaissance. Mais tout cela relève désormais de l’Histoire et donc du passé.
Aujourd’hui, la Mauritanie est existentielle pour le Maroc, elle contrôle le prolongement africain du royaume. Mais elle détermine aussi, même en partie, la volonté d’ouverture du Maroc vers le Sahel et conditionne l’initiative marocaine à destination et en faveur des pays se trouvant dans cette région. Depuis que le roi Mohammed VI avait annoncé sa grande stratégie consistant à favoriser l’accès des pays sahéliens à l’Atlantique, tous les yeux s’étaient tournés vers Nouakchott, qui avait boudé ou ignoré ou décliné l’invitation de Nasser Bourita à se joindre aux trois autres pays qui s’étaient retrouvés à Rabat pour sceller ce début d’alliance.
La diplomatie marocaine est une diplomatie silencieuse, qui agit, intervient, s’implique, propose mais en silence ; seuls les résultats sont annoncés, une fois réalisés, en grande pompe. Ainsi fut-il fait avec Washington, avec Israël (relation aujourd’hui en mode pause, en attendant le départ du génocidaire Netanyahou, désormais sous le coup d’un mandat d’arrêt de la CPI), avec Madrid, avec Berlin, avec Paris… On peut supposer que depuis l’annonce de l’initiative sahélienne, les contacts entre Nouakchott et Rabat sont étroits et fréquents : visites d’officiels, déplacement en grande pompe de la CGEM… sans que rien de concluant n’en filtre.
Et comme les relations entre les deux pays relèvent du cœur, voilà que la Première dame mauritanienne est venue au Maroc, voici un mois, pour y subir une opération chirurgicale… Et bien évidemment, le mari Mohamed Ould Cheikh el Ghazouani, président de Mauritanie, est venu à Rabat rendre visite à son épouse en convalescence, et il y a été reçu par le roi Mohammed VI, en pleine activité malgré son état de santé et son bras en écharpe. On pourrait penser que les relations s’améliorent, et qu’elles s’améliorent singulièrement, au vu de cette rencontre au sommet. Mais sans plus.
Or, les deux chefs d’Etat, marocain et mauritanien, se sont déplacés quelques jours plus tard aux Emirats Arabes Unis. Le fait d’annoncer cela, côté marocain, et de préciser qu’il s‘agit d’une visite privée, est inédit car les voyages privés du souverain, relevant justement de la sphère privée, ne sont pas portés à la connaissance du public, sachant encore une fois que le roi Mohammed VI assure toute cette activité en étant en convalescence. Les choses restent donc mystérieuses, bruyamment discrètes, mais se précisent.
Par ailleurs, rappelons que les relations entre les Emirats Arabes Unis et l’Algérie (ou, depuis, peu, « l’Autre monde ») sont effroyablement mauvaises, le second accablant le premier d’accusations, généralement loufoques. Ces relations entre les deux pays sont presque aussi mauvaises qu’entre Rabat et Alger… Que peut donc faire le président mauritanien avec ses homologues de ces deux pays qu’Alger considère comme « ennemis existentiels », qui sont mutuellement liés par des accords stratégiques signés fin 2023, qui sont tous les deux signataires d’accords avec Israël ? S’il accepte d’entretenir avec eux deux des relations poussées et aussi mystérieuses, c’est que quelque chose de grand se prépare.
Abu Dhabi ne fait pas mystère de son intérêt pour la Mauritanie, le Sahel et aussi la façade atlantique de l’Afrique. Les EAU ont ainsi alloué en 2020 à la Mauritanie un montant de 2 milliards de dollars, soit 35% du PIB et s’engagent dans une large politique d’infrastructures dans le pays.
Ainsi, le sommet triangulaire Maroc-Mauritanie-Emirats Arabes Unis est déjà décrit comme « révolutionnaire ». Les projets en discussion devraient être annoncés dans un proche avenir et même s’ils ne sont pas encore divulgués et que les fuites orchestrées sont savamment incomplètes, on peut penser qu’il s’agit de désenclavement accru du Sahel, passant par la Mauritanie, ou peut-être de raccord des pays du Sahel au Gazoduc Nigéria-Maroc…
Et ces grandes manœuvres, qui isoleront encore plus l’Algérie, alliée de l’Iran, dans cette large reconfiguration géostratégique de la région, interviennent, là encore, à quelques semaines de l’investiture de Donald Trump. Avec les bouleversements annoncés par celui qui n’est encore que président élu, les Etats s’organisent, se préparent, créent des réalités nouvelles. La grande région ouest-africaine, englobant Sahel et Afrique du Nord, s’inscrit dans cette logique.
C’est peut-être en tenant compte de ces suppositions, et d’autres encore, qu’il faut analyser les mouvements diplomatiques et géopolitiques en cours aujourd’hui entre le Maroc, les Emirats Arabes Unis et le Maroc.
Bonne année 2025, avec Trump.
Aziz Boucetta