(Billet 1104) – La démocratie asthmatique

(Billet 1104) – La démocratie asthmatique

La constitution a aujourd’hui 13 ans, l’âge de raison… et aussi l’âge et le temps de sa mise en application. Ce texte consacre une démocratie à la marocaine, comme il existe une démocratie à la japonaise, à l’indienne ou à la belge. La constitution incarne notre système, fondé sur plusieurs siècles d’histoire. Le problème est qu’elle n’est pas appliquée, dans sa lettre et aussi dans son esprit.

Comme pour toute activité humaine, l’Homme est au centre, et sans hommes et femmes pour nourrir cette constitution et lui donner de la substance, pas de démocratie, pas de vie institutionnelle, pas d’évolution. Pas d’égalité ni de parité et, au final, encore moins de développement.

Observons les anciennes et vieilles démocraties. Elles sont aujourd’hui largement perfectibles, indiscutablement réparables, mais elles existent. Scrutons la France, par exemple… sa démocratie ne ressemble plus à rien de connu en la matière, les derniers arrivés aux élections sont aux commandes, les premiers sont au bord de la crise de nerfs, le locataire de l’Elysée veut absolument terminer son bail et celui de Matignon ne dort plus, soucieux d’allonger au plus possible son rêve éveillé. Et pourtant, elle fonctionne, cette démocratie, d’une manière ou d’une autre, malgré les crissements actuels et les admonestations habituelles. Idem pour les Etats-Unis et leur président autodéclaré dictateur pour un jour (en général, on le reste…), et pour la Corée, où le président a eu un coup de folie avant d’être destitué et de refuser son interpellation, et pour l’Allemagne où le très terne Scholz s’arcboute mais tient, et pour le Royaume-Uni, et l’Italie, et les autres… Le Japon reste l’exception qui confirme la règle, œuvrant avec un certain succès à faire fonctionner sa démocratie dans un contexte social et historique très vieux.

Dans ces pays, le courant dominant finit toujours par s’imposer, avant de, une fois au pouvoir, imploser ou exploser. L’extrême-droite s’est ainsi installée en Italie, aux Pays-Bas et à Washington, elle avance lentement mais sûrement en France et aussi en Allemagne… Elle finira par gagner, un jour, en dépit des résistances des Etats, visibles ou profonds.

Et au Maroc ? Rien de lisible, rien d’intelligible. Notre démocratie se réduit à des élections, une fois tous les cinq ans, et à des gesticulations aggravées de hurlements dans les instances représentatives une fois élues. Au parlement, on s’invective et on se chahute, et dans les conseils communaux, on s’agresse et on se dispute. Et cela donne un sentiment de démocratie… On se contente de peu.

Pourquoi est-ce ainsi ? Regardons les partis politiques et leurs états-majors… dans ces cercles de « pouvoir », on trouve des rentiers dont l’objectif est de se placer, en attente d’un gouvernement à former, d’une équipe à remanier, de gouverneurs à désigner ou d’ambassadeurs à nommer. Le but ultime est d’atteindre une fonction de prestige, pas d’en faire ou d’y faire quoi que ce soit, mais simplement de l’atteindre et… d’attendre les signes venus de plus haut !

Ce n’est pas cela la démocratie… La démocratie, c’est être véritablement représentatif, en avoir conscience, et en avoir envie, de même que d’avoir envie de lutter pour ses électeurs et de satisfaire ses administrés. Une démocratie se construit par le bas. Regardons les vieilles démocraties, les chefs nationaux ont presque tous un ancrage territorial, un fief, généralement une mairie, une région, un canton, un Etat (aux Etats-Unis), un Land (en Allemagne)… Et observons ce qui se produit chez nous. Nous n’avons pas de personnages politiques centraux avec des ancrages territoriaux ; aucun, même si certains chefs de partis sont également maires. Qui peut citer le nom de trois maires de grandes villes ? A Casablanca, cette métropole qui change à vue d’œil, qui est à la manœuvre ? Le wali Mohamed Mhidia, et seulement lui. A Marrakech, qui peut dire que Mme Fatima Zahra Mansouri dirige vraiment sa ville, tout occupée qu’elle est à Rabat avec ses fonctions ministérielle et partisane ? Abdellatif Ouahbi gère-t-il réellement « sa » ville, Taroudant ? Et Agadir, Aziz Akhannouch qui en a pris la tête en 2021 agit-il vraiment en maire de la ville ou en père fouettard pour ses élus impertinents ? Qui est capable de dire le nom du maire de la capitale Rabat, de cette ville millénaire qu’est Fès, de la cité cosmopolite appelée Tanger, de la petite perle de Dakhla ?...

Observons nos partis, maintenant… Au PPS, Nabil Benabdallah est inamovible car, laisse-t-il entendre, il ne trouve pas de relève. A l’Istiqlal, les militants ont vécu deux ans et demi sans renouvellement de secrétaire général et, une fois réélu, Nizar Baraka a quand même mis six mois à former son Comité exécutif ; tout cela est légitime, mais un peu poussif. Au RNI, le chef est là, il cheffe, et interdit de parler ou de prétendre être intelligent. Au PAM, la lutte pour le leadership n’en finit pas et les ambitions s’allongent au sein de la très curieuse direction tricéphale. L’USFP est devenu une sorte de Lachgaristan ressemblant vaguement à un parti. Le PJD et son chef, sauf dans de rares situations, ne disent rien ou bien n’importe quoi. Le MP, après avoir eu l’un des plus anciens secrétaires généraux de parti au monde (peut-être même le plus ancien), a consacré un nouveau chef, bien né, bien marié, bien orienté.

Interrogés, les militants « sachants » affirment que si c’est comme cela, c’est qu’ « on ne nous laisse pas faire », « la main invisible gère et régente »… bref, ils attendent que de plus haut descendent des instructions. C’est faux. Personne n’a jamais (ou presque) empêché un militant de nourrir l’ambition de gérer sa ville, sauf peut-être sa propre hiérarchie, qui préfère le notable, et en cas d’empêchement son fils, peut-être sa fille, et pourquoi pas les trois !! Il est vrai que le ministère de l’Intérieur avance à marche forcée, avec des cadres territoriaux de plus en plus aguerris, de mieux en mieux formés, avec objectifs et évaluations, mais cela n’a jamais empêché un maire d’agir pour le bien de sa ville. Quand il veut. Le « haut » respecte le « bas » quand le « bas » sait y faire, qu’il se respecte lui-même et qu’il ne se laisse pas regarder de « haut ».

Qui peut maintenant donner les noms quelques présidents de Régions ? Et pourtant, la régionalisation a été décrétée et mise en route, puis elle a avancé, est devenue avancée, elle a fait l’objet de conférences, de financements, et puis elle a encore avancé… mais non, les partis négocient le fauteuil de président entre eux, entérinent le champion de tel parti et votent pour lui. L’heureux élu et son parti gagnent, la région et la démocratie perdent ; les walis font le job, les édiles signent les PV et sourient aux inaugurations. Et ainsi va le pays… jusqu’à la prochaine élection.

Et on en est toujours au point de départ. Rien ne se fera tant qu’on demeurera dans cette situation, celle où ceux qui veulent venir travailler ne trouvent pas leur place, occupée par ceux qui ne veulent pas s’en aller, et ceux qui les soutiennent. Le Maroc peut installer sa propre configuration démocratique, mais il doit le faire résolument en s’ancrant territorialement, en désignant celles et ceux de ses cadres intéressés uniquement par la gestion locale, régionale.

Là, on joue…

Aziz Boucetta