(Billet 1072) – Et l’Istiqlal retrouva son teint rose…

(Billet 1072) – Et l’Istiqlal retrouva son teint rose…

Une force tranquille… ainsi pourrait-on, finalement, qualifier Nizar Baraka, le secrétaire général du parti de l’Istiqlal, réélu en avril pour un second mandat. Il vient en effet, six mois après certes, de faire élire la liste unique proposée pour le comité exécutif (CE), l’organe le plus important – et le plus prestigieux – de la vénérable formation de 80 ans. Le parti peut travailler maintenant pour mieux exister au gouvernement et qui sait, en prendre les rênes en 2026.

Nizar Baraka a, maintenant, gagné ses galons de véritable chef de parti et non plus seulement un chef de plan B, gendre ou petit-fils de…, technocrate de service, et autres joyeusetés du même type. La manière dont il a décidé – seul, jure-t-on dans son entourage – de la liste des membres du CE puis celle avec laquelle il a proposé ces noms aux membres survoltés d’un conseil national énervé, montrent une bien meilleure prise de M. Baraka sur son parti. On ne « dompte » pas un parti comme l’Istiqlal avec facilité, il faut jouer sur le temps, savoir temporiser et surtout être apte à tempérer les ardeurs. Nizar Baraka a donc gagné ses galons de chef de l’Istiqlal. Il était incontestable, il est devenu incontesté.

A la lecture des noms des heureux élus, ou réélus, au CE, on distingue aisément les deux clans qui dirigent le parti, celui de Nizar Baraka et celui conduit par Hamdi Ould Rachid, ou le clan (ou, pour être politiquement correct, le courant) des Sahraouis. C’est grâce au second que le premier a pu défaire Hamid Chabat en 2017, mais c’est à cause de lui qu’il n’a pu diriger l’Istiqlal comme il l’aurait voulu, depuis.

Comme les régions sahariennes ne manquent de rien et que, grâce à Dieu, la famille Ould Rachid non plus, le clivage entre les deux clans ne pouvait pas porter sur l’idéologie istiqlalienne, pour autant qu’elle existe encore, ni sur les intérêts de la région. Donc sur des fonctions, de l’influence, encore plus de puissance, de la présence, et c’est tout. Mais les Ould Rachid, le chef et les siens, sont des Istiqlaliens de longue date, et ils ont leur place au sein de l’appareil comme tout le monde. Et comme ils sont plus puissants que le commun du tout le monde, alors ils se sont réservés une part importante dans les instances de direction du parti. C’est naturel et Nizar Baraka devra composer avec.

Dans l’autre camp, on trouve des jeunes, des nouveaux, connus dans l’appareil, un peu moins dehors. Ils incarnent le véritable renouveau, la relève générationnelle d’une certaine catégorie qui a, de tous temps, fait la force du parti. Des technos, enfants de la maison, y ayant fait leurs armes et acquis leur âme, et qui sont en parfaite droite ligne de la doctrine de l’Istiqlal, une sorte de syncrétisme entre conservatisme et progressisme, entre tradition et modernité, entre docilité et impétuosité. Un mélange savant, mais ô combien improbable !

Dans ce nouveau CE, il y a les autres… ceux qui n’appartiennent à aucun clan ou plutôt relèvent des deux. Ils puisent leur force de leur étrange capacité de s’allier les deux chefs sans s’en aliéner aucun. On a dit, en marge du conseil national, que le secrétaire général n’a consulté personne et que cette liste reflète l’unité du parti, mais on dit tellement de choses, auxquelles personne n’est nécessairement tenu de croire… Au final, les « Fassi » sont en force, les « Ould Rachid » encore plus, et les Qayouh ne sont pas en reste, avec deux membres. L’ensemble sera tellement antagoniste et étiré que les potentiels trublions ne pourront rien troubler et que les jeunes fidèles de la garde rapprochée du chef l’entoureront et l’encadreront, le protègeront. La maison est donc, désormais, bien tenue, avec ses équilibres


qui se compensent et ses aspérités qui s’annulent.

Nizar Baraka devra encore désigner quatre autres membres dans le comité exécutif, procédure prévue pour repêcher certains et faire miroiter le graal istiqlalien à ceux qui seraient tentés de protester, pour les dissuader de crier trop fort. Qu’en sera-t-il alors des Mediane, Abdouh, Ansari, Kihel, Zoumi et autres qui vivent très mal leur éviction du comité et encore plus mal leur remplacement par de jeunes novices ? Ils devront se résigner à leur sort car ce sont les jeunes novices, de qualité diverse, qui sont désormais appelés à apporter une cure de jouvence au plus vieux parti du royaume, lequel en a bien besoin dans un contexte de méfiance générale à l’égard de la classe politique.

Il faudra cependant retenir deux éléments qui semblent importants, après l’adoption du nouveau CE :

Le premier est que comparativement au CE sortant, les Istiqlaliens ont fait l’effort de ne pas élire ou reconduire les personnages les plus sulfureux, les caciques conscients de leur rôle et de leur pouvoir de nuisance. Une volonté d’assainir et de moraliser est claire, et elle est bienvenue : M. Baraka a osé le faire, et il a pris des risques pour ce faire. Bien sûr, rien n’est parfait, loin de là, mais on peut y tendre… Il est difficile de contenter tout le monde avec une trentaine de sièges, et il a fallu composer. MM. Baraka et Oulad Rachid composèrent donc, et ils ont finalement réussi à masquer leurs antagonismes et à mettre en place un comité qui ressemble à quelque chose ; ils ont placé leurs siens et écarté (presque tous) les béotiens, et c’est tant mieux.

Le second élément est que le parti rompt définitivement avec son prestigieux passé. Un passé fait de personnages emblématiques, charismatiques, portant avec éclat la pensée istiqlalienne ainsi que l’avait arrêtée Allal el Fassi et affinée Mhamed Boucetta. Et c’est normal, les temps changent, les sociétés évoluent, les attentes sont plus complexes et les contextes diffèrent. On ne fait plus de Kadiri, Ghellab, Khalifa, Louafa, Douiri, Tazi et autres et c’est normal ; à chaque époque, ses hommes et ses femmes. Le CE est passé du verbe à Excel.

Aujourd’hui, les choses sont donc rentrées dans l’ordre dans cette maison istiqlalienne qui a connu quelques remous depuis la rocambolesque direction de Hamid Chabat, lequel a fini par trouver refuge dans un obscur hizbicule. Depuis son départ mouvementé en 2017, le parti tangue, le gouvernail est difficile à tenir entre les vents contraires et le capitaine n’a pu endosser son costume de capitaine que plusieurs années après. C’est fait maintenant, semble-t-il.

L’heure est à la technocratie certes, car le pays a besoin de réformes, d’innovations majeures dans tant de domaines économiques et sociaux et de maîtrise des dossiers. Mais il a aussi besoin de politique, de politiques, de cadres dirigeants capables de parler aux électeurs, de s’exprimer en public, d’expliquer leurs politiques, et d’afficher une certaine éthique (à défaut d’une éthique certaine…).

Or, sur ce terrain, la concurrence est rude. L’objectif déclaré de l’Istiqlal est de conquérir la pole position aux prochaines élections, et donc la présidence du gouvernement ; seulement voilà, le RNI veut y rester et le PAM y aspire. Et chacun d’eux a des atouts à faire valoir, malgré de rudes faiblesses de doctrine, d’histoire et de légitimité.

Après un congrès qui a tardé deux ans et demi et un CE qui a pris six mois à être constitué, Nizar Baraka doit mettre le cap sur 2026, et réussir les échéances électorales à venir. C’est à cette aune-là qu’il sera jugé et c’est dans cette perspective que le parti lui a donné carte blanche, qui ne vaut pas chèque en blanc. La force tranquille ne doit pas se reposer sur ses lauriers.

Aziz Boucetta