(Billet 915) – Oncle Sam, le tonton flingueur qui tire plus vite que son ombre

(Billet 915) – Oncle Sam, le tonton flingueur qui tire plus vite que son ombre

On sait depuis longtemps déjà que les Etats n’ont pas d’amis durables ni d’ennemis éternels, mais les Etats-Unis, eux, n’ont vraiment aucun ami, en dehors d’eux-mêmes, et considèrent les pays du monde comme autant d’ennemis potentiels. Et les Américains ne l’ont jamais autant montré que dans ce grand jeu d’échecs géopolitique mondial qui se déroule sous nos yeux. D’une manière tantôt effrayante, tantôt intéressante, et parfois amusante.

Avant d’évoquer cette étrange propension des yankees à tirer, notons qu’ils savent tout aussi bien se retirer, en ordre ou en désordre, dès que leurs intérêts le dictent ou qu’ils soient perçus ainsi. Ainsi de l’Irak, fin 2011, quand Barack Obama, en quête de réélection, rappelle ses soldats, abandonnant le pays qui n’avait rien demandé à une grave crise politique, économique, sociale, confessionnelle, sécuritaire… Plus loin encore, le retrait précipité mémorable de Saigon en 1975 est encore dans les… mémoires, ravivées par les images du retrait tout aussi précipité et plus dramatique, cataclysmique, de Kaboul en août 2021.

Mais quand ils ne se retirent pas, les Américains sont passés maîtres dans l’art de tirer, et à chaque fois qu’ils suffoquent un peu chez eux ou s’y ennuient, ils lancent une guerre, directement avec leurs GI’s, ou indirectement, par proxys, comme ici et là en Afrique, ou aujourd’hui en Ukraine, où les Yankees sont « prêts à se battre jusqu’au dernier Ukrainien », disent-ils avec leur élégance coutumière.

En Afrique, les Etats-Unis arrivent aussi, ou reviennent après leur double présence historique, lors de la Guerre froide, pour contrer l’influence de feue l’URSS, puis sous Bush et Obama, sous l’angle de la lutte contre le terrorisme. La fin du second mandat Obama et la courte ère Trump ont marqué un désintérêt de Washington pour le continent, avant que Joe Biden ne prenne la décision d’y retourner. « Là où se trouvent la Russie et la Chine, nous devons être aussi », professait le général US et ex-commandant de l’Africom Stephen Townsend. L’Afrique, c’est Suez, Bab el Mendeb, Gibraltar, les richesses du sous-sol, « malédiction » pour les Africains que les Américains se proposent de transformer en heureuse « bénédiction ». Pour eux.

Jusque-là, Washington « déléguait » la gestion d’une partie de l’Afrique aux Européens, mais depuis que les Chinois s’y sont implantés avec l’argent et l’entregent et que les Russes y campent avec Wagner et l’armement, les Américains ont décidé de s’y intéresser, rudement, virilement, même si le prix à payer est de « virer » les Français, pourtant réputés être leurs « amis ». Mais les Etats-Unis n’ont pas d’amis éternels et immuables, donc, mais des intérêts permanents et persistants.

On a vu comment Washington, avec sa grâce d’éléphant, a dégagé les Français de l’Indopacifique, les écartant par exemple de l’Aukus et du Quad ; et aujourd’hui, Washington s’intéresse au Sahel, terrifiée de voir les gentlemen de Wagner y prendre pied et racine, en appliquant à Paris la logique du « first in, first out ». A Niamey, par exemple, et alors que l’ambassadeur de France vit des moments difficiles et que Paris demeure dans le déni de...

la nouvelle donne politique locale, la nouvelle ambassadrice US a tranquillement pris ses fonctions fin juillet, et la sous-secrétaire d’Etat Victoria Nuland – épouse du fameux néo-conservateur Robert Kagan – était au Niger pour discuter avec les putschistes et obtenir ce que Paris n’a pas su maintenir, en l’occurrence assurer la présence occidentale et tenir Wagner à distance, tout en gardant les investisseurs chinois à l’œil.

On en arrive à la région Maghreb… Elle est loin, la doctrine Eizenstat, du nom de ce sous-secrétaire d’Etat de Bill Clinton qui voulait créer et faire prospérer un marché uni maghrébin, avant de jeter l’éponge et de laisser la région sous l’influence européenne, française en particulier. Aujourd’hui, la France d’Emmanuel Macron ayant réussi le tour de force de (presque) perdre le Maroc et de n’avoir rien obtenu de l’Algérie, les Américains reviennent, non sans s’être assurés du soutien de l’UE, ou du moins d’une partie « importante » de l’Union.

Au Maroc, et comme la nature géopolitique a horreur du vide, et que l’influence française recule, les Américains se rapprochent de Rabat. Depuis ce fameux décembre 2020, quand Donald Trump avait reconnu la marocanité du Sahara, les contacts entre Rabat et Washington s’affirment et se confirment. La teneur de l’échange téléphonique entre Joe Biden et le roi Mohammed VI, hier, au sujet du séisme d’al Haouz, va également dans ce sens : le président américain a pris le contre-pied de son homologue français. Là où le second s’est montré particulièrement (et habituellement) maladroit, le second a eu les mots adéquats et la délicatesse qu’il fallait, ayant préalablement envoyé son ambassadeur sur les lieux du séisme, pour avoir les informations et savoir l’orientation.

Mais, au regard de l’histoire américaine, pouvons-nous pour autant, au Maroc, considérer les Etats-Unis comme un pays durablement ami ? Rien n’est moins sûr. Ils seront nos partenaires tant que leurs intérêts le leur commanderont et tant que nous ne serons pas en concurrence avec eux, mais attention, ils apprécient le rapport de force et savent l’estimer. Ils n’ont cure de cette éternelle ritournelle que leur sert le Maroc, comme ayant été le premier pays à reconnaître leur indépendance ; les Américains ne sont pas adeptes de l’Histoire et n’ont donc aucune gêne à ne pas confirmer, clairement et explicitement, l’Accord de décembre 2020, pas plus qu’ils n’en ont à réclamer une solution « digne » pour les Sahraouis.

Nos amis Yankees ne peuvent se retirer de cet Accord mais ils continuent de tirer sur le Maroc en n’étant pas clairs, et c’est sans doute la raison pour laquelle Rabat manie aussi (avec prudence certes) le chaud et le froid avec Washington, multipliant les contacts avec les Chinois et les Russes (sur l’uranium par exemple).

« Nous n’avons pas d’alliés éternels, ni d’ennemis perpétuels. Nos intérêts seuls sont perpétuels et éternels », disait Lord Palmerston au 19ème siècle. Au 21ème, la formule est toujours valable. Ce que les Américains devraient comprendre, et que les Français n’ont pas encore admis, c’est que cela vaut pour les Grands, les émergents et les autres…

Aziz Boucetta