(Billet 914) – Nefss et niya, ces valeurs qui n’apparaissent que dans l’exception

(Billet 914) – Nefss et niya, ces valeurs qui n’apparaissent que dans l’exception

Alors que les Marocains vivaient tranquillement la seconde décennie de ce siècle, au rythme habituel, fait comme partout ailleurs de hauts et de bas, de grands et de petits combats et de passionnants ou stériles débats, ils ne s’attendaient pas à se trouver sous les projecteurs du monde trois fois ces trois dernières années pour leur mobilisation et leurs compétences. Mais qu’en a-t-on fait, qu’en fera-t-on ?

1/ Mars 2020, le communiqué du ministère de l’Intérieur tombe, et les Marocains sont sommés de se confiner chez eux, de se calfeutrer, de se barricader, et de ne plus voir personne, ni travailler. L’ennemi invisible et passablement létal est là. Il y a bien évidemment toujours les sceptiques qui n’y ont pas cru, ce qui est de leur plein droit, mais le virus a tout de même emporté 15.000 vies, et très certainement plus sans confinement, sans cette organisation parfaite et cette anticipation des faits et de leurs effets. L’Etat s’est mobilisé, la population aussi. Les malades ont été pris en charge, les pauvres furent assistés, les usines sollicitées, les forces de l’ordre mobilisées, l’économie préservée.

Avec beaucoup de nefss nationale et de niya citoyenne, le virus fut tenu à distance et les choses sont restées sous contrôle. Le monde a applaudi la performance marocaine.

2/ Décembre 2022, une vingtaine de jeunes hommes portent haut, très haut, les couleurs nationales au Qatar. Prenant le meilleur sur les plus grandes équipes du monde, ces jeunes ont donné le meilleur d’eux-mêmes, se hissant dans le dernier carré des meilleures équipes du monde. Le Maroc a brillé sur le terrain et dans les tribunes qataries, et son public a étincelé ici au Maroc, dans un extraordinaire élan de soutien et de support de son équipe, désormais figurant parmi les plus talentueuses du monde. Et on ne parle pas de la présence sécuritaire marocaine au Qatar.

Ici aussi, avec beaucoup de nefss nationale et de niya citoyenne, le triomphe était au rendez-vous. Le monde a encore applaudi la performance marocaine.

3/ Septembre 2023. Al Haouz, la montagne s’ébroue, la terre gronde, le sol tremble, les murs se fissurent, se brisent, les bâtiments s’écroulent sur des gens endormis. 3.000 morts, 6.000 blessés, des dizaines de milliers de sans-abri, d’orphelin(e)s, de veuves et de veufs, de personnes ruinées… la société se mobilise, la solidarité s’organise, les aides se canalisent, l’Etat supervise, le monde avalise, au début apitoyé, puis avec le temps de plus en plus impressionné. Le Maroc a encore une fois montré d’étranges et surprenantes capacités de réponse à la catastrophe.

Et là encore, avec beaucoup de nefss national et de niya citoyenne, les choses sont restées sous contrôle...

et un immense chantier de reconstruction/réhabilitation s’apprête à émerger des décombres. Le monde a applaudi la performance marocaine.

Dans ces trois épisodes, l’Etat a montré sa puissance et la société a révélé sa force. Et quand, dans une nation, ces deux acteurs sont présents et actifs, il n’y a plus lieu de s’inquiéter pour la suite. Mais, pour autant, cela pourrait aller mieux… Comment ? Avec des corps intermédiaires qui font mieux leur travail, qui soient plus présents, plus efficaces, plus visibles, plus dignes de confiance.

Oh, on sait bien que dans l’ensemble des nations du monde, les classes politiques sont généralement sévèrement critiquées, et que seul l’Etat, avec sa puissance, agit et fait la différence. Mais tout de même. Les trois pouvoirs doivent alors se remettre en question, en cause.

Au sein du gouvernement, certains ont été bons et visibles, d’autres simplement bons sans apparaître et une troisième catégorie n’a rien fait, ou presque, alors même que tous les départements ministériels sont concernés. Il faudra faire le compte et les mécomptes des uns et des autres, ceux qui étaient dans leurs bureaux ou sur le terrain, mobilisés, ou ailleurs, indifférents… Niya et nefss sont des valeurs inégalement partagées dans notre gouvernement.

La justice. Une société sans justice demeure factice. Extrêmement efficace lors de la pandémie ou de la présente catastrophe sismique, la justice le fut moins pour sévir contre les profiteurs du Mondial et les délinquants de la billetterie. Un pays avec une justice forte et aveugle est fort et serein ; dans le cas contraire, il est exposé à tous les périls. Un peu plus de niya et de nefss dans le corps de notre magistrature, en temps normal, hors crise, ferait le plus grand bien au royaume.

Le parlement. Inutile il est, inutile il fut, inutile il demeure ; inutile dans sa globalité et ses membres inutiles dans leur écrasante majorité, excepté quelques-uns qui se reconnaîtront… Chambre d’enregistrement des textes gouvernementaux, caisse de résonnance pour les discours, temple d’opportunités professionnelles et d’aubaines mercantiles pour tant d’entre eux. Le parlement coûte de l’argent, directement, et cet argent doit être utile à tous. L’est-il ? Le doute est permis.

 

En agissant comme il l’a fait dans tous ces événements (festifs ou dramatiques), le Maroc montre qu’il est apte, et capable de monter encore plus haut et plus fort, même par temps calme. Il importe, pour cela, que l’exceptionnel devienne la règle, que le « sérieux » devienne une seconde nature, que niya et nefss soient des valeurs plus partagées et plus répandues. Nous pourrons retenir ainsi que dans l’ordinaire nous sommes capables de faire aussi bien que ce que nous faisons lors des périodes extraordinaires.

Aziz Boucetta