(Billet 907) – Maroc-France, un frémissement ? Vraiment ?
Après la pluie, le beau temps, avait-on coutume de dire avant ces temps de réchauffement climatique… Certes, mais il advient que parfois, après la pluie, il y a la tempête, les orages, les ravages ; il en va ainsi pour cette étrange relation qui unit la France au Maroc… et en dehors d’une poignée de personnes initiées, bien malin serait celui qui pourrait dire ce qui se produit en ce moment entre les deux pays. Car il se produit quelque chose, c’est certain.
Prolégomènes. Au tout début du premier mandat d’Emmanuel Macron, les relations semblaient bonnes entre le président français et le roi du Maroc. Invitation quasi familiale de Mohammed VI au président en mai 2017, présence d’Emmanuel Macron à l’inauguration officielle de la LGV en novembre 2018, échanges réguliers entre les deux hommes et… tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ou du moins semblait aller car quelque chose a, dans l’intervalle, cassé, sans que personne ne puisse définir cette chose.
Ainsi, de 2019 à 2021, les choses ont commencé à empirer, les relations à se distendre, la confiance à s’étioler, la méfiance à s’installer. L’action affligeante de l’ancienne ambassadrice Hélène Le Gal et les propos provocateurs du jeune ministre Gabriel Attal ont fait le reste, contribuant à détruire une relation qui remonte à plusieurs siècles. Les Marocains avaient même choisi de ne pas trop s’intéresser à cette période historique 1845-1956, lors de laquelle la France avait tranquillement dépecé le Maroc. Le terme est sans doute fort, mais il est exact.
2021-2023. La France d’Emmanuel Macron dégaine sa grosse artillerie, mais une artillerie bien funestement placée entre des mains inexpertes, voire novices. Attaques sournoises (Pegasus, photos et vidéos diverses…), instrumentalisation d’instances européennes (parlement de Strasbourg), actions « punitives » collectives (visas)… qui se retournent contre leurs utilisateurs. En effet, le Maroc ferme et se ferme à toute forme de collaboration avec la France (comme en 2014, mais en plus incisif). Tout cela aurait pu être mis sur le compte d’une irascibilité, d’une susceptibilité du pouvoir marocain, si la vague « dégagiste » anti-française ne s’était affirmée en Afrique sahélienne francophone, confirmant la mauvaise direction prise par la diplomatie française en Afrique. Pendant ce temps, Emmanuel Macron persistait à roucouler avec une Algérie que tout le monde voit incertaine, que bien des responsables estiment non fiable, que beaucoup croient dangereuse… sauf M. Macron.
Remise en cause générale, donc, en France. Nombreuses sorties de l’ancien ambassadeur français en Algérie, sous forme de livre, de notes et d’entretiens médias, suivies d’un positionnement marqué et explicite de la droite française, entre autres, sur la question du Sahara et donc des relations avec le Maroc, parution du livre de Nicolas Sarkozy avec des avis et opinions sur le Maroc et son roi quant à leur nouvelle place acquise, conquise sur l’échiquier continental… et le dernier discours d‘Emmanuel Macron à la conférence
des ambassadeurs, adresse dans laquelle le chef de l’Etat français semble avoir pris la mesure du grave déclassement diplomatique français dans le monde en général, en Afrique en particulier et au Maghreb plus précisément.
Mais après une quasi rupture unilatérale de la relation diplomatique par le Maroc, le 19 janvier, puis l’échange de messages de félicitations entre les deux hommes à l’occasion de leurs fêtes nationales respectives les 14 et 30 juillet, aujourd’hui, on dit que le roi Mohammed VI serait à Paris… Visite privée, donc conditionnel de mise. Ce serait là la première visite du souverain marocain en France après son désormais fameux discours sur le « prisme » nouveau de la diplomatie marocaine et sur les partenariats économiques, sa première visite aussi après l’annonce par la diplomatie française de ce qui est présenté comme une levée de la restriction sur les visas, après les reports multiples – ou le refus par le Maroc – d’une visite de M. Macron en terre chérifienne.
Mais le cadre de discussions ou de reprises de relations normales (im)posé par le Maroc est très étroit : la reconnaissance de la marocanité du Sahara, ni plus ni moins ; ce cadre ne permet plus de jouer avec les adverbes et les circonvolutions langagières diplomatiques sur le plan d’autonomie, pour satisfaire le Maroc sans mécontenter l’Algérie, ou inversement. Partant de ce cadre, ou de cette condition pour être plus précis, auquel il faut ajouter le sentiment très anti-français qui monte encore au sein de la société marocaine suite à la décision calamiteuse de restriction des visas, il serait très difficile de reprendre langue avec la France, ses politiques, ses diplomates, ses entreprises et ses lobbies sans une déclaration explicite sur le Sahara.
Fort des reconnaissances américaine et israélienne, des quasi reconnaissances espagnole et allemande, de toutes les autres reconnaissances et de la trentaine de consulats au sud, Rabat a montré sa capacité à basculer ses alliances, à diversifier ses amitiés et à engranger des points. Aujourd’hui, le Maroc, bien implanté dans son continent et entretenant de cordiales relations avec l’écrasante majorité des dirigeants africains (putschistes compris), poursuit son propre agenda, lequel rejoint peu ou prou celui, nouveau, inédit, très volontariste des Etats-Unis dans le Sahel.
Il semblerait donc que la balle soit désormais dans le camp d’Emmanuel Macron : soit il persiste dans son incompréhension des enjeux africains, au Maghreb et dans le Sahel, et la France perdra, en plus des autres Etats sahéliens, le Maroc, soit il accepte une véritable remise en cause de sa « doctrine algérienne » comme l’y invite sa propre classe politique, et il y gagnera bien plus que ce qu’il perdrait dans la première configuration.
La question reste de savoir si le Maroc, fort de ses nouvelles alliances et engagé avec elles en Afrique, a vraiment intérêt à reprendre et rétablir comme jadis ses relations avec la France… Vaste question.
Aziz Boucetta