(Billet 904) – Afrique francophone, de la domination aux dominos
« Barkhane dehors », « A bas la France », et autres joyeusetés du genre… Depuis quelques années, c’est le cri qui s’élève du Sahel, résumant et reprenant globalement cette volonté populaire de voir « la France dehors ». On ne sait pas quel pays les Africains prennent en sympathie, mais on sait que ce n’est pas, ce n’est plus, la France. Cette semaine, le dernier vrai bastion français au Sahel, le Niger, vient de vivre son coup d’Etat, comme tous les autres pays de la région, ou presque tous.
On notera que ce sont essentiellement les anciennes possessions françaises qui connaissent ces vents de rébellion contre les systèmes en place… en place car placés peu ou prou dans le cadre de l’ancienne Françafrique, déclarée morte par le président Macron mais qui a survécu quelques temps encore après. L’acte de décès de cette Françafrique ne peut être établi par la France mais par les Africains eux-mêmes, désormais conscients de leurs potentiels et soucieux de leurs avenirs et sourcilleux quant à leurs ressources naturelles.
Nous assistons donc à différentes remises en question, de natures différentes, des systèmes politiques dans l’ancienne « Afrique française ».
Le coup d’Etat militaire. Au Mali, puis au Burkina Faso, ensuite en Guinée et aujourd’hui au Niger, l’armée sort de ses casernes et s‘invite au palais présidentiel, à son goût trop inféodé à Paris. Le droit d’inventaire est revendiqué et les populations semblent satisfaites. Ce qui sera fait et réalisé demain est une autre affaire mais aujourd’hui les gens en armes prennent le pouvoir dans une logique de dominos.
Le coup de force institutionnel. A la mort d’Idriss Deby Itno, président du Tchad depuis 1990, c’est son fils qui lui succède, et lance un processus de négociation avec une opposition qui n’en veut pas vraiment. D’où le massacre d’octobre dernier. Tout cela se produit avec la complicité silencieuse de Paris et d’Emmanuel Macron, en besoin d’alliés dans la zone Sahel. Le pouvoir d’Idriss Deby Itno Junior est alors de plus en plus menacé, les dominos se rapprochant dangereusement depuis le coup d’Etat dans le Niger limitrophe.
La tentative de coup d’Etat constitutionnel. Voulant rééditer la manœuvre réussie dans la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara qui a brigué et obtenu un 3ème mandat avec le soutien français (contrairement à ce qui s’est passé en Guinée avec Alpha Condé), le Sénégalais Macky Sall a pris le risque d’embraser le pays, avec les premières étincelles et les premiers morts en juin dernier. Le président Sall a fini par jeter l’éponge et renoncer à son 3ème mandat que l’opposition, contrairement à lui, juge inconstitutionnel. Tout indique que ce sera Ousmane Sonko qui succédera à Macky Sall et M. Sonko n’est pas ce qu’on pourrait qualifier de pro-français.
La bascule politique. On le sait, en 2011, Laurent Gbagbo avait été renversé grâce au soutien actif de l’armée française qui avait ouvert la voie de la présidence à Alassane Ouattara.
M. Gbagbo avait ensuite passé 7 ans dans une cellule de La Haye, avant d’être acquitté par la Cour pénale internationale (toujours sur pression et insistance de la France qui ne lui pardonne pas sa volonté d’émancipation). Personne ne sait ce qui se produira lors de la prochaine élection présidentielle de 2025… M. Gbagbo sera-t-il candidat et sera-t-il élu, ou alors appuiera-t-il quelqu’un de son camp pour l’être à sa place ? Ce qui est sûr est que le prochain président ne sera pas « françafricisé ».
On constate aussi que les pays francophones ayant pris leurs distances avec Paris connaissent une certaine stabilité politique, en dépit de contestations populaires de leurs pouvoirs. Cameroun et Gabon ont décidé, en 1995 pour le premier et 2022 pour le second, de passer dans le giron du Commonwealth, marquant tous deux et depuis quelques années une distance remarquée avec la France.
Le coup d’Etat au Niger intervient simultanément à la tenue du Sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg. Il y a rarement des coïncidences dans les agendas et les grands événements politiques, et la destitution du très pro-français Mohamed Bazoum est un grand évènement politique du fait du soutien à lui apporté par Paris et en raison de l’importance de ce pays dans le dispositif militaire occidental anti-terrorisme et dans l’approvisionnement de la France en uranium. Il ne faut pas amplifier ce fournisseur, mais il représente tout de même environ le 5ème de l’uranium importé en France.
Le coup d’Etat au Niger fera également infléchir la politique algérienne de Paris car, loin de la question du gaz algérien, c’est la stabilité nigérienne, la présence de l’armée française au Niger et la sécurisation de l’uranium à Arlit au Niger qu’Alger est supposé défendre et protéger. Ce n’est aujourd’hui plus le cas. Et à ce propos, la présence du groupe Wagner en Afrique, dans les trois pays limitrophes du Niger que sont le Burkina Faso, le Mali et la Libye peut interpeller, à l’aune de la guerre d’influence en Afrique que se livrent la Russie et le monde occidental, la France en particulier. L’implication de ce groupe russe dans le coup d’Etat au Niger devra se clarifier dans les semaines qui viennent.
Et au final, au Sahel, on passe d’une domination française très marquée encore en 2017 à la réalisation de la théorie bien connue des dominos, où les pays tombent ou tanguent les uns après les autres, pour les mêmes raisons. Dans l’ancienne URSS au début des années 90 aux anciens satellites russes 10 ans après, aux pays arabes 10 ans encore plus tard à l’Afrique francophone aujourd’hui, 10 ans après toujours.
La domination de la France en Afrique recule donc, au profit des dominos qui s’en écartent les uns après les autres. A qui le tour ? Pendant ce temps, à Paris, on peut se demander s’il y a toujours un pilote dans l’avion géostratégique…
Aziz Boucetta