(Billet 886) – Naam Miyara, sa vie, son œuvre… et ses manoeuvres
En toute honnêteté et sincérité, combien de personnes au Maroc sont-elles en mesure de dire qui est ce personnage, pourtant central dans la politique nationale. Il est probable que même celles et ceux qui s’intéressent (encore) à la chose politique ne sont pas capables de dire qui il est. Et pourtant, Naam Miyara est le 4ème personnage du royaume par ordre protocolaire, puisqu’il est l’heureux président de la Chambre des conseillers…
… entre autres fonctions ! car il est également, et depuis 2017, le grand patron de l’UGTM, le syndicat affilié ou adossé au parti de l’Istiqlal, en plus d’autres menues fonctions, comme celle de membre du comité exécutif du même parti. Pour parfaire le tableau, M. Miyara est lauréat de l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II et il a siégé 12 années comme conseiller à la Chambre du même nom, avant d’en prendre la présidence.
M. Miyara est donc président de la Chambre des conseillers, 4ème personnage de l’Etat comme on dit, et patron de l’UGTM. Avec ces titres, il devrait être sur tous les fronts, il devrait être positionné comme l’un des faiseurs de lois de ce grand pays, il devrait être de tous les combats sur le travail. Las… avec un tel personnage de choc et un tel syndicaliste d’élite, il est quand même curieux que la loi organique sur la grève soit toujours dans les tiroirs mouroirs de la Chambre, ou d’ailleurs.
Un président de chambre parlementaire, en principe, doit être un pilier de la vie politique de son pays, ou du moins ainsi sont les profils de tant de présidents haut perchés. Ils toisent une assemblée dont ils connaissent intimement tous les personnages, ils maîtrisent les rouages et contrôlent les dérapages. Ils légifèrent, ils interfèrent, ils négocient, ils savent pinailler sur les détails, grapiller des acquis, avancer en terrain miné et déminer les situations dangereuses.
Avec Naam Miyara, rien de tel, il rase les murs et agit dans les coulisses, se montre parfaitement lisse, ne présentant aucune aspérité, parle peu et, quand il parle, il lui arrive d’avoir manqué l’occasion de se taire. Ainsi, par exemple, dernière anecdote en date, cette sortie sur Sebta et Melilla… « Le Maroc, dit-il, récupérera un jour les deux villes de Sebta et Melilla sans recourir aux armes, mais grâce aux négociations et au dialogue avec le voisin espagnol ». La phrase, en elle-même n’a rien de bien dramatique, mais prononcée par un ténor de l’Istiqlal, mentor de son syndicat, à quelques semaines d’élections en Espagne où la question des deux villes est si sensible, elle fait désordre et a exposé son auteur à un viril rappel à l’ordre.
Mais le désordre, M. Miyara n’en a cure, lui qui connaît bien le chaos qui règne dans « sa » Chambre, une
Chambre qui ne s’est pas faite connaître par sa fougue législative. Elle ne légifère pas, mais se contente de voter gentiment les textes qui lui arrivent du gouvernement ou de la Première Chambre. Elle ne contrôle pas le gouvernement, ou alors en posant des questions convenues à des ministres qui viennent s’y ennuyer à mourir. Elle ne fait pas de diplomatie parlementaire car, entre intrigues et manipulations, ses membres voyagent beaucoup mais influencent peu. Dans le cas contraire, cela se saurait… Et puis, une Chambre résolument masculine avec que des hommes peuplant ses instances, Bureau, présidences de groupes et commissions permanentes, et une femme, une seule, pour confirmer la règle.
M. Miyara est un apparatchik, il aime donc apparaître, mais sans jamais être. Il vient, il voit et, contrairement à César, il ne vainc pas, pas plus qu’il ne convainc. Une créature politique comme on en voit tant dans ce pays et comme on aimerait en voir moins.
Alors, déjà cumulard de deux fonctions centrales sans que cela ne le trouble, Naam Miyara voit plus loin encore. Au sein du parti de l’Istiqlal, on lui prête l’intention de l’ambition. Ambition de quoi ? De devenir, un jour, secrétaire général du parti de l’Istiqlal. Excusez du peu et interdit de rire, car l’homme connaît beaucoup de gens et a de l’entregent. Essentiellement familial, car il est un proche de Sir Hamdi Ould Rachid, un autre senior de l’Istiqlal et seigneur des provinces du Sud, qui joua un rôle décisif dans l’élection de Nizar Baraka comme secrétaire général en octobre 2017. Et aujourd’hui, alors que le congrès du parti part de report en report, le sortant Baraka a annoncé sa candidature pour un autre mandat ; M. Miyara osera-t-il l’affronter ou attendra-t-il son heure, patiemment, en tissant sa toile déjà bien avancée ? Réponse dans quelques semaines, ou mois.
En 2017, la famille Ould Rachid (avec son allié Miyara) avait héroïquement contribué à « déchabatiser » le parti. Durant le printemps, Naam Miyara avait lutté victorieusement contre le clan Chabat et avait remporté la guerre du secrétariat général de l’UGTM (qui revendique sans sourciller 750.000 adhérents) ; et l’automne venu, c’était Hamdi Ould Rachid qui participait à la plantation du dernier clou dans le cercueil istiqlalien de Hamid Chabat. Rien donc ne permet de contredire aujourd’hui l’ambition du clan à briguer le poste suprême de patron de l’Istiqlal, le seul parti qui signifie encore plus ou moins quelque chose dans ce qu’est devenu le Maroc politique actuel…
Dans l’attente, Naam Miyara poursuit sa glisse dans les coulisses, de phrases convenues en propos vagues, essayant de ne pas faire de vagues, maintenant ses « 750.000 » adhérents en pause et « sa » Chambre en jachère, œuvrant à se maintenir et manœuvrant pour aller plus haut. Inchallah.
Aziz Boucetta