(Billet 882) – Le PJD vent debout (en bout) contre Israël

(Billet 882) – Le PJD vent debout (en bout) contre Israël

Que cherche le PJD ? Comme tous les partis politiques d’ici et d’ailleurs, d’aujourd’hui, d’hier et de demain, il est à la recherche de voix et d’adhésion, peut-être même aussi de visibilité. Pour cela, la politique et la diplomatie lui donnent des moyens, parmi lesquels Israël, sujet facile et sans trop de risques. Voire… A l’occasion de la visite du président de la Knesset israélienne, le PJD s’est encore énervé.

Prolégomènes. Nous sommes le 22 décembre 2020, au palais royal de Rabat. Trois hommes sont devant le roi Mohammed VI et brandissent le document qui scelle l’établissement de relations entre le Maroc et Israël. Les hommes sont Meir Ben Shabbat, conseiller à la sécurité nationale d’Israël, Saadeddine Elotmani, chef du gouvernement et du PJD et Jared Kushner, conseiller spécial de Donald Trump, qui était là en qualité de garant. Le Maroc clarifie donc sa relation avec l’Etat hébreu, qui n’a d’ailleurs jamais été véritablement rompue, et c’est le PJD qui signe pour le royaume.

A cette époque-là, Abdelilah Benkirane, l’homme en colère et qui ne décolère plus depuis, prend la parole pour dire son adhésion à cet accord. En se pinçant le nez certes, à reculons certainement, avec une mauvaise foi d’archevêque, mais il entérine l’accord avec Israël, au nom des intérêts supérieurs du Maroc. Par la suite, on ne compte plus les dirigeants israéliens qui ont fait le voyage sur nos terres, des dirigeants du gouvernement, de partis politiques, de l’armée, du monde de l’économie et de l’entreprise, des renseignements, de la tech, de tout… A ce rythme-là, il faudrait que le PJD réserve une salle dans son siège, un préposé et un ordinateur pour fulminer à chaque fois qu’un officiel israélien vient au Maroc…

Il faudrait juste que le parti explique la différence entre les Palestiniens, musulmans persécutés, les Rohingyas, musulmans persécutés, et les Ouighours, musulmans persécutés, en plus de l’islamophobie triomphante en Inde, en France et dans d’autres pays européens. La différence est sans doute liée au fait que les persécuteurs des Palestiniens sont les Israéliens, mais alors, l’attitude du PJD serait plus de la judéophobie que de la défense des musulmans persécutés. Mais ce n’est même pas le cas, l’attitude du PJD est tout simplement de la politique politicienne, destinée à la consommation électorale

Le Maroc a-t-il renoncé à ses exigences en faveur des Palestiniens, formulées dans l’accord de décembre 2020 et rappelées par le PJD dans son communiqué ? Non. Le Maroc a-t-il jamais, avant 2020, interrompu ou même suspendu ses liens et contacts avec Israël, y compris sous la présidence Benkirane ? Non. Le Maroc est-il condamné par les Palestiniens pour son rapprochement avec Israël ? Non. Le Maroc n’a-t-il pas reçu Ismaïl Haniyeh, quasi divinité du Hamas, quelques semaines avant l’arrivée sous nos cieux de Yaïr Lapid, ministre israélien des Affaires étrangères ? Si. Nos amis arabes n’entretiennent-ils pas des relations de plus en plus profondes et poussées avec Israël ? Si. Alors...

pourquoi le PJD s’énerve-t-il tant, tout seul ?... Encore une fois, de la politique politicienne.

Ce que le PJD de M. Benkirane ne comprend pas est que sa position surjouée est désormais éculée et qu’elle intéresse de moins en moins de monde ; l’officialisation des relations entre Rabat et Tel Aviv en 1995 avait eu un tout autre écho au sein de la population, mais c’était il y a un tiers de siècle, le monde a évolué entretemps, il s’est complexifié, et la relève démographique a changé la donne. Aujourd’hui, les gens sont pris dans leurs problèmes quotidiens et si l’établissement de relations avec Israël doit nous apporter quelque chose, alors tant mieux. Et c’est d’autant plus mieux que le royaume, déroulant sa nouvelle doctrine diplomatique exprimée par son chef d’Etat à Riyadh en avril 2016, n’a pas que des amis et qu’il a même de plus en plus d’adversaires. De plus, les perspectives de coopération avec l’Etat hébreu engagent aussi, sûrement, le très changeant Oncle Sam à notre égard et notre bénéfice, comme on l’a pu constater avec le maintien de l’Accord tripartite par une administration Biden qu’on disait plutôt incertaine à ce sujet, et en dépit du chaud et froid continuellement soufflé par le secrétaire d’Etat Antony Blinken.

La lecture géopolitique du PJD est singulièrement tronquée car, aujourd’hui, avoir un allié solide (malgré les habituelles et inévitables vicissitudes de la diplomatie internationale) n’est plus guère un luxe, en plus du fait que la politique de la chaise vide serait une erreur. Parler avec l’adversaire est à l’inverse utile pour régler les problèmes, bien que l’actuel Premier ministre israélien soit lui-même un problème ; mais il est un problème pour son propre pays et son avenir est plus qu’incertain. Il faut donc maintenir les relations et entretenir les passerelles de discussion pour avancer sur la question palestinienne.

Quant à la posture politique du parti d’Abdelilah Benkirane, elle se trompe de cible. Au lieu de s’en prendre à des alliés, fussent-ils israéliens, il serait mieux inspiré de reprendre son rôle d’opposant. Le parti a toujours du potentiel, son chef a encore du charisme, et le Maroc politique a plus que jamais besoin d’une opposition crédible et efficace, utile, et non braillarde et démagogue, inutile.

M. Benkirane ne peut donc plus parler au nom du peuple marocain qui a tourné le dos à son parti en 2021, de la même manière que le RNI, parti conduisant la majorité, doit expliquer (ou remédier à) sa non-participation au groupe d’amitié Maroc-Israël (comme l’atteste le site de la Chambre des représentants) tout en recevant, au niveau gouvernemental et avec de grands sourires, les délégations israéliennes en visite au Maroc.

Dans l’attente, il faut engranger les bénéfices de notre entente avec Tel Aviv, attendre que Benyamin Netanyahou s’en aille, continuer à défendre la cause palestinienne, et ne plus se soucier des gesticulations politiciennes du PJD et de l’attitude incompréhensible du RNI.

Aziz Boucetta