(Billet 881) – Les peines alternatives... une alternative à la (vraie) réforme pénale ?
Cela fait presque deux années que la majorité a été constituée et que le gouvernement a été composé, nommé et investi. Mais l’une des réformes principales de cette mandature, en l’occurrence la réforme pénale, est toujours dans la zone grise, sans espoir de voir un jour le jour. En effet, de rapiéçages en dérapages, de procrastination en hésitations, le gouvernement a finalement décidé de proposer un texte sur les peines alternatives… Mieux que rien, pourrait-on dire, mais rien de mieux pour jeter de la poudre aux yeux.
Le texte sur ces peines alternatives avait lui-même été reporté voici environ un mois, pour d’obscures raisons. Mais le voilà qui, ce début de juin, passe en Conseil et s’en va prospérer au parlement, qui le votera comme il a l’habitude de voter les propositions gouvernementales. Sans débat, sans combat, sans réflexion ni introspection au sein de la société marocaine car, de fait, un tel projet devrait d’abord faire l’objet d’une idéologisation de la politique pénale. Laquelle voulons-nous ? Pour quelle société ? Dans quels objectifs et avec quelles perspectives ? Quels types de sanctions ?... Nombre de députés, essentiellement des deux principaux partis de la majorité, sont dans l’incapacité de répondre à ces questions, pour moult raisons, dont le fait qu’ils sont eux-mêmes potentiellement concernés.
Un projet de loi sur les peines alternatives doit idéalement se fonder sur l’inévitable réflexion autour de la philosophie pénale du pays, qui doit elle-même aboutir, au terme d’un long débat public, à la politique pénale. Quoi sanctionner, comment, sur quels fondements, religieux, sociaux, moraux ? Et une fois cela entériné, quel genre de sanctions privilégier ? Quel rôle la prison doit-elle avoir au sein de la cité ?... Ce sont ces questions et questionnements qui doivent préalablement être posés dans l’espace public, et les réponses ne doivent pas nécessairement ni exclusivement émaner du seul gouvernement et de sa majorité.
Tout cela n’a pas été fait, la réforme du Code pénal est toujours occultée et l’exécutif est passé directement aux peines alternatives. La raison n’est donc pas sociale ou même morale comme on le dit en insistant sur la protection des délinquants qui demeurent citoyens et auxquels il faut éviter autant que faire se peut les conséquences d’une incarcération et d’une immersion dans le monde carcéral. Non, la raison est financière et sécuritaire, uniquement.
Financière car moins de détenus, cela signifie moins de dépenses budgétaires (hébergement, soins, restauration, surveillance, sécurité, réhabilitation …) et moins de pénitenciers à construire. Financière aussi car avec cette idée de rachat des peines, cela fera de l’argent en plus dans les caisses de l’Etat (le ministre Ouahbi a
déclaré que cette idée n’est pas abandonnée). Le bon vieux père fouettard se transforme en bon père de famille… La raison de la diligence gouvernementale est aussi sécuritaire car aujourd’hui, les prisons marocaines sont sur-engorgées ; de 83.000 prisonniers, déjà trop, en 2019, on passe à 89.000 en 2021 et… 98.000 fin 2022. A titre d’information, la capacité d’accueil est de 60.000 places, d’où une surpopulation de 156% ! A ce rythme-là, on n’incarcère plus, on entasse, on ne sanctionne plus, on fracasse, on ne réhabilite plus, on déclase.
Et, plus grave encore, 45% des détenus sont de potentiels innocents puisqu’en préventive et la même proportion environ est condamnée à des peines inférieures à un an de prison. C’est dire que tout est à refaire, repenser, reconsidérer. Et non seulement ce n’est pas fait, mais ce ne semble même pas en voie de l’être, aucun débat public n’étant prévu dans les semaines ou mois à venir.
Ce projet de loi sur les peines alternatives paraît donc être ce qu’il est, une alternative à la réforme globale du Code pénal, où tant de choses restent encore à introduire, ou supprimer. Ainsi de la peine de mort, ou encore des peines de prison pour exercice de libertés individuelles, et aussi les peines se rapportant à l’avortement, alors même que le roi, en 2016, avait demandé à assouplir la réglementation en la matière. Quant à l’enrichissement illicite, qui est la véritable pierre d’achoppement de la réforme pénale, il reste toujours en jachère juridique et législative.
Dix ans de gouvernement dit PJD n’auront pas permis de faire avancer la politique pénale du royaume, et on disait alors que c’était par la faute du PJD. Fort bien, et maintenant ? Nous avons une majorité faite d’un PAM qui se dit progressiste, d’un Istiqlal qui se veut égalitaire et d’un RNI qui se réclame de la social-démocratie. Cela en fait des idéologies et de la profondeur de pensée, mais de code pénal refondé, pas un mot. Et pourtant, ce monde politique devrait revoir tant d’anomalies, dont la formation des magistrats selon l’ancienne doctrine judiciaire, répressive comme on le voit.
Alors à défaut, on légiférera sur ces peines alternatives, il y aura moins de gens en prison, avant que, dans les années à venir, on revienne aux anciennes habitudes, en l’occurrence emprisonner à tour de bras. Sans refonte du code pénal, sans remise en cause de la politique judiciaire et des comportements des juges qui vont avec, sans audace législative, ce seront les mêmes travers qui seront perpétués. Et les mêmes causes donnent toujours les mêmes effets.
Aziz Boucetta