(Billet 846) – L’Istiqlal, un pied dedans, l’autre dehors
La majorité gouvernementale actuelle au Maroc se compose comme chacun sait du RNI, grand gagnant des élections, du PAM, heureux second et de l’Istiqlal, petit troisième malgré son grand âge. Mais le parti d’Allal el Fassi reste toujours égal à lui-même, défendant farouchement son indépendance, au risque de se trouver en délicatesse avec le reste de la majorité. Et aussi en porte-à-faux avec la marche de l’Histoire.
Le parti de l’Istiqlal compte parmi les plus vieux partis politiques au monde. Créé en 1934, il prend le nom d’Istiqlal en 1943, avec des noms illustres et un objectif encore plus noble. Et noble sera son parcours, grand son prestige et immense son aura, qui cependant s’étiole et s’éteint avec le temps car avec le temps va, tout s’en va, disait le poète… Socle du gouvernement à l’aube de l’indépendance, le parti est de tous les grands combats pour l’indépendance puis pour la récupération de tous les morceaux du royaume. A partir des années 2000, l’étoile de l’Istiqlal pâlit car le parti, jadis conquérant, noue avec sa phase actuelle de tout accepter et de rarement refuser, au risque de se récuser.
Les Balafrej, el Fassi, Bouabid, Boucetta, Douiri, Kadiri, Ghellab et autres sont aujourd’hui remplacés par des noms qu’il serait inutile de citer par charité musulmane. Ils sont conduits par leur secrétaire général Nizar Baraka, pilote compétent mais hélas aux commandes d’un appareil jadis flamboyant, aujourd’hui rouillé par l’érosion du temps, étroitement verrouillé par une doctrine désuète et passablement souillé par ceux qui ne se reconnaîtront pas mais que les concernés connaissent bien.
Pourquoi donc, ce funeste mois de septembre 2021, le parti a-t-il accepté de rejoindre l’attelage bleu ? Entrer dans une majorité avec deux partis pudiquement estampillés « administration » était porteurs de risques pour le doyen de la classe politique nationale. Et voilà que cette décision, un an et demi après, s’avère particulièrement amère. Qui se ressemble s’assemble, dit le dicton, exacte traduction de l’adage marocain "معامن شفتك شبهتك"… ce qui n’est pas très flatteur pour ce parti au passé si prestigieux et qui aurait pu avoir un avenir encore plus grand… Mais
il y a plus préoccupant, et c’est l’ancrage résolu dans des postures révolues.
Ainsi, lors de son dernier Comité exécutif, le parti appelle à demeurer conservateur dans l’exercice des libertés, insistant sur « les constantes de la nation » et autres blablas du même tonneau. Les dirigeants istiqlaliens verraient ainsi avec méfiance l’évolution des droits et libertés dans le sens d’une plus grande ouverture, en matière de relations entre personnes, d’héritage et autres facteurs de progrès… Et pourtant, il leur aurait suffi de (re)lire le fameux livre d’Allal el Fassi « l’Autocritique », dans lequel l’ancien (et grand-père de l’actuel) patron de l’Istiqlal appelait à un islam en mouvement, un islam fidèle à son esprit, capable d’être de tous les temps et en tous lieux, comme par exemple le Maroc du second quart du 21ème siècle, tel qu’il devrait être et non comme on voudrait qu’il reste indéfiniment.
Par ailleurs, avec la majorité actuelle, dont il est membre mais un membre distant, défiant et même méfiant, l’Istiqlal perd un peu plus de son âme, étant obligé de se solidariser, même du bout des lèvres, avec une politique abominablement technocratique et socialement calamiteuse. Que fait ce parti avec deux formations auxquelles rien ne le lie, à part se décrédibiliser et chahuter ses chances, un jour prochain, de conduire le gouvernement du Maroc ? En 2026, si rien ne change et que la majorité actuelle reste en place, l’Istiqlal pourrait avoir de sérieuses chances de se classer premier aux élections et de former son gouvernement ; et à dire vrai, avec la « gauche » moribonde et l’islamisme politique ringardisé, le parti de Nizar Baraka serait le seul à avoir de solides chances de l’emporter.
Alors, dans l’attente, l’Istiqlal fait ce qu’il sait faire de mieux : être et ne pas être de la partie. Y être parce que ses cadres le veulent, espérant un jour un strapontin au gouvernement, et ne pas y être pour ménager son avenir. Dans l’attente de cet avenir rêvé et même fantasmé, le parti devrait penser à rééditer 2013 tout en donnant un grand coup de balai en interne. Il en serait grandi.
Aziz Boucetta