(Billet 800) – Migration au Maroc, il faut agir maintenant

(Billet 800) – Migration au Maroc, il faut agir maintenant

Tant que cela allait dans les deux sens, plus ou moins, personne ne disait rien, mais aujourd’hui, cela commence à ne plus fonctionner. Les migrations commencent à poser problème au Maroc, jusque-là accueillant, mais qui pourrait connaître des problèmes s’il ne réagit pas vite. Et réagir vite, c’est simultanément et fermement avec les Unions africaine et européenne.

Le sujet est très délicat, car il concerne l’humain. Et il est doublement délicat car il porte sur les réactions de populations marocaines, urbaines, réagissant négativement à la recrudescence migratoire subsaharienne dans leurs quartiers, mais ayant tous et dans le même temps un parent, ami, connaissance, migrant en Europe, qui subit les assauts de plus en plus hostiles des sociétés françaises, espagnoles, belges ou autres… Le Maroc se trouve en effet dans la double et complexe situation de pays à la fois émetteur et récepteur de migration.

D’une part, le royaume est un Etat africain, engagé et impliqué dans l’édification institutionnelle du continent (UA, ZLECAf, Observatoire de la migration…), mais d’autre part, et bien qu’il s’en défende, il s’est « vendu » comme barrière à l’émigration africaine vers l’Europe. Le royaume est dans et pour l’intégration africaine, continentale et régionale, ses entrepreneurs et investisseurs s’installent un peu partout en Afrique de l’Ouest, les échanges culturels battent leur plein, et il se présente comme un pays ouvert sur le monde ; et en face, avec les Européens, le Maroc reçoit les investissements directs, déploie de louables efforts pour accueillir sur son sol les grandes entreprises du Nord et se présente comme une terre ouverte sur l’Afrique et un pays qui y « exporte » son humain.

Le problème se pose en cela qu’Europe et Afrique ont des intérêts divergents et une conflictualité grandissante ; le jeu du Maroc confine de plus en plus en un très inconfortable grand écart, un jeu double qui le met souvent en position de double-jeu, l’exposant à de durables et croissantes inimitiés.

1/ Sur le plan géopolitique et géoéconomique, l’Afrique est devenue le lieu de compétition entre grandes et moyennes puissances qui y sont confortablement installées (essentiellement la Chine) ou travaillent à s’y implanter de diverses manières (USA, Inde, Russie, Turquie, pays du Golfe), et l’Europe, qui tente de s’y maintenir ou d’y revenir. Le Maroc s’allie de plus en plus avec les deux premiers groupes, mais doit veiller à ne pas mécontenter le troisième, ce qu’il ne peut éviter.

2/ Sur le plan migratoire. L’Afrique est un continent émetteur de migrations, même si les 4/5 des migrants demeurent dans le voisinage de leurs pays d’origine, ou sur le continent. L’Europe est, pour les migrants extérieurs africains, la destination privilégiée. En raison des difficultés des...

routes migratoires orientales et centrales (Moyen-Orient, Libye/Egypte), le Maroc deviendra une terre de transit privilégiée, avec une partie des migrants qui veulent passer en Europe à travers son territoire.

Le royaume ne pourra donc, à terme, soutenir l’Europe sur le plan géopolitique ni la « protéger » sur le plan migratoire. Et face à une UE qui ne le comprend ni ne l’aide vraiment, il se trouve dans une situation difficile qui ne pourra que se compliquer dans le proche avenir, et de plus en plus vite. Comment pourrait-il continuer à être le « gendarme » de l’Europe, rôle qu’il récuse tout en l’étant, sans s’aliéner les peuples africains dont les ressortissants candidats au déplacement vers l’Europe tenteront de plus en plus de transiter par ses terres ?

Sa paix civile et sa stabilité sociale, et à terme politique, en dépendent, et le Maroc devra donc changer sa grille de lecture, en la précisant par un choix définitif et résolu. A défaut, il devra gérer un nombre croissant de situations comme celles qu’il doit déjà affronter à Casablanca essentiellement, dans d’autres villes aussi, principalement au Nord (Nador, Tanger…).

Un sentiment xénophobe s’installe dans la population, et déjà, des postures racistes émergent ici et là, sans qu’aucune esquisse de solution n’apparaisse. Les politiques, comme on peut s’y attendre, n’ont rien à proposer, et assistent, indifférents, à la crispation des riverains marocains et à la colère grandissante des migrants subsahariens. Sans décision politique immédiate, les forces de l’ordre déjà soumises à rude épreuve seront bientôt débordées, conduisant tout le pays vers un avenir incertain. Le pays a déjà régularisé voici quelques années environ 50.000 personnes venant du continent (photo), et il peut aller encore plus loin, mais pas beaucoup plus loin, le problème étant transcontinental et non national.

Le récent vote d’une résolution parlementaire européenne a ceci de positif qu’il permet des discussions plus franches. « Vous voulez que le Maroc vous aide à contenir les vagues migratoires à venir, de plus en plus fortes, de plus en plus massives, alors il vous faudra vous décider à mettre plus de moyens, financiers certes mais surtout politiques », cela passant par une véritable politique africaine de l’Europe.

Dans cet objectif, le Maroc, idéalement et problématiquement situé à l’intersection des deux continents, devra initier un véritable dialogue entre les deux Unions, africaine et européenne, où les extrêmes et les anathèmes n’auront pas leur place, mais où les discussions franches devront prévaloir, dans le respect des droits et obligations de chaque partie.

Cela ressemble à un vœu pieux, mais dans ce cas, il appartiendra au Maroc de se recentrer en priorité sur son ordre public interne avant qu’il ne soit trop tard.

Aziz Boucetta