(Billet 778) – Allons z’enfants de Manebital ahrare
Et donc nous y voilà… un match de foot France-Maroc, et quel match ! Pétri d’Histoire et de défis, de non-dits d’une part et d’incompréhensions de l’autre. Les Français veulent écrire l’Histoire en devenant la seconde nation à pouvoir enchaîner deux titres mondiaux successifs, et le Maroc le premier pays arabe et africain à accéder au panthéon du foot mondial. De l’émotion, de la crispation, et beaucoup de passion !
Tous les amateurs du sport-roi, et même ceux que ce dernier indiffère généralement vous le diront, ce match est explosif… pour les nerfs, rien que les nerfs, on se calme, les gars sur CNews et sur certains médias allemands imbéciles…
D’abord, la royauté. Le Maroc est une monarchie aussi consommée qu’assumée, qui a su garder son système politique depuis plus de 1000 ans, et la France est une monarchie exacerbée, qui a décapité son roi avant de mettre un empereur à sa place, puis un autre roi, puis une république, puis un autre empereur, puis plein de républiques, avant de finir en monarchie déguisée. C’est cela qui, entre autres, rapproche les deux peuples.
Ensuite, l’Histoire. On pense ici aux Français nostalgiques de leur grande Histoire, avec ce zeste de condescendance qui caractérise bien ces (quand même) attachants Gaulois réfractaires à tout et à rien, réfractaires, c’est tout… et auxquels font face les nôtres, ces Marocains imprégnés aussi de leur non moins grande Histoire, qui veulent manger du coq Gaouri, gentiment bien évidemment. La poule au pot, invention d’Henri IV, a été améliorée en poulet farci à la Choumicha.
Mais aussi l’humour... L’ironie et le sarcasme sont une des marques de fabrique de l’esprit français, avec la dérision, mais les Français d’aujourd’hui, pour de multiples raisons, ont oublié de rire, se contentant de rictus peinés par à peu près tout, le froid et la chaleur, les Russes et le Brexit, l’Afrique et le manque de fric, les retraites et le manque de travail,… Les Marocains, eux, se sont transformé l’espace de cette Coupe du Monde d’Empire chérifien en Empire du rire, de tout, partout, pour tous, par l’image et le montage, le sarcasme et l’enthousiasme. Et ce petit cadeau, avec la permission de Raiss Tijani..
Et enfin, la religion. Si le Maroc
est le pays des Chorfas (descendants du Prophète), des zaouias et des confréries, la France n’est pas en reste, en dépit de sa laïcité affichée. Elle est quand même la fille aînée de l’église et son président est, es-qualité, chanoine de Latran. Au Maroc, on croit et on prie, en France, on doute mais on prie aussi, en silence, à reculons mais sur les télés publiques, le dimanche, avec la « bénédiction » du Conseil constitutionnel.
Oh, on ne parle pas ici des racistes, comme ces crétins de CNews qui jouent les incendiaires à coups de « guerre civile », d’ « appropriation de l’espace public », d’ « émeutes », « de voyous d’origine marocaine », « nés en France mais dont l’âme est ailleurs ». Les Jean Messiha et Pascal Praud, et leurs congénères abrutis en mal de sensations résolument racistes et bêtement hors contexte. Des gens de peu qui ne veulent pas comprendre qu’entre ces deux pays, il existe quand même une longue et grande histoire, faite de cape et d’épées et de nombreuses et singulières épopées. Il est quand même curieux que le CSA n’agisse ni ne réagisse… En gros, ce soir, ce sera le match entre ceux qui veulent nier l'Histoire et ceux dont la Niya fera (ou a déjà fait) l'Histoire.
A la tribune, il y aura le président Macron, qui ira encourager ses Bleus, verts de peur à l’idée de perdre contre les Rouge et Vert. Mais on ignore encore s’il aura à ses côtés le roi du Maroc qui, comme ses sujets, a arpenté les rues de sa bonne ville de Rabat, entouré de centaines de milliers de personnes qui n’insultent personne, pas plus que les millions d’autres Marocains et étrangers sortis exprimer leur jour, sans n’insulter personne, se contentant de laisser « exploser » (eh, les Allemands…) leur joie en charriant un peu leurs adversaires passés et à venir sur les pelouses de foot.
Bon, on en reste là, et on attend la confrontation de ce soir. Que le meilleur (ou le plus chanceux des deux) gagne, et sans rancune. On reviendra plus tard sur les choses sérieuses qui risquent de séparer durablement ces deux peuples qui sont, quand même, amis… Allons z’enfants de Manebital ahrare, procurez-nous du plaisir et faites l’Histoire… du foot.
Aziz Boucetta