Focus sur le gazoduc Maghreb-Europe (Francis Perrin, PCNS)

Focus sur le gazoduc Maghreb-Europe (Francis Perrin, PCNS)

La récente rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc a remis au centre de l’actualité un important projet gazier, le gazoduc Maghreb-Europe (GME), dont on ne parlait plus beaucoup depuis un bon moment. Qu’est-ce que le GME et que représente-t-il en termes de flux gaziers ?

Trois gazoducs pour exporter le gaz algérien vers l’Europe

Le GME fait partie d’un ensemble de trois gazoducs qui relient l’Algérie, pays producteur et exportateur de gaz naturel, à l’Union européenne (UE). Par ordre chronologique de mise en service, le premier d’entre eux est le gazoduc TransMed (trans-méditerranéen) qui dessert le marché italien. Le deuxième est le GME qui approvisionne la péninsule ibérique (Espagne et Portugal). Le troisième est le Medgaz qui relie l’Algérie à l’Espagne. Le TransMed fonctionne depuis 1982, le GME depuis 1996 et le Medgaz depuis 2011. A Alger, le TransMed est appelé officiellement le gazoduc Enrico Mattei (GEM), en hommage à l’ancien patron du groupe énergétique italien Eni, partenaire de la Sonatrach algérienne pour ce gazoduc, et le GME le gazoduc Pedro Duran Farrell (GPDF), en hommage à l’ancien patron de la société espagnole Gas Natural. Le Medgaz est aussi le GZ4.

L’Algérie avait envisagé la construction de deux autres gazoducs vers l’UE, le Galsi et le Nigal ou gazoduc trans-saharien. Le premier devait exporter du gaz algérien vers l’Italie et le second devait partir du Nigeria puis traverser le Niger, l’Algérie et la Méditerranée pour arriver en Europe. Pour ce dernier projet, le pays exportateur serait le Nigeria. Mais ces deux projets n’ont pas été réalisés à ce jour. Ils ne sont cependant pas abandonnés officiellement.

Parmi les gazoducs existants, il y a deux générations. La première comprend le TransMed/GEM et le GME/GPDF : dans les deux cas, ces gazoducs transitent par un pays tiers avant d’arriver dans l’UE. Pour le premier, ce pays est la Tunisie et, pour le second, le Maroc. Le Medgaz/GZ4 est de seconde génération, car il relie directement l’Algérie à l’Espagne. Le Galsi devait lui aussi faire partie de cette seconde génération mais, comme rappelé ci-dessus, il n’a pas été construit faute d’une demande suffisante de gaz sur le marché italien. Le GME/GPDF est un projet particulièrement complexe car il associe quatre pays, l’Algérie, le Maroc, l’Espagne et le Portugal.

Une forte baisse des volumes de gaz transportés par le GME dans la période récente

Selon la société nationale marocaine ONHYM (Office National des Hydrocarbures et des Mines), les volumes de gaz naturel ayant transité par le GME en 2019 étaient de 5,4 milliards de mètres cubes, en forte baisse (-43,2%) par rapport à 2018 (9,5 milliards de mètres cubes). La redevance pour le Maroc a chuté dans des proportions similaires (-43,9%) et s’établissait à 381,63 millions de mètres cubes en 2019 (680,43 millions de mètres cubes en 2018). Ce gazoduc a permis à l’Office National de l’Electricité et de l’Eau Potable (ONEE, Maroc) de disposer en 2019 de 300 millions de mètres cubes de gaz pour les deux centrales thermiques de Tahaddart et d’Aïn Beni Mathar (388,60 millions de mètres cubes en 2018). La forte diminution des volumes de gaz transportés en 2019 s’explique par une moindre consommation en Europe et par une préférence pour le gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par bateau.

La Sonatrach évalue


la capacité de transport de ses trois gazoducs d’exportation existants vers l’UE à 53-57 milliards de mètres cubes (on peut trouver ces deux chiffres sur le site internet de la société nationale algérienne). Pour le TransMed/GEM, la capacité est de 33,15 milliards de mètres cubes par an. Pour le GME/GPDF et le Medgaz/GZ4, les capacités de transport sont de 11,6 et de 8 milliards de mètres cubes/an respectivement. Mais, du fait d’une demande gazière assez faible sur les marchés européens, ces trois gazoducs n’ont livré que 26-27 milliards de mètres cubes en 2019, selon la Sonatrach.

Avant la récente crise diplomatique entre l’Algérie et le Maroc, la Sonatrach travaillait sur l’extension du GME/GPDF, sur celle du Medgaz/GZ4 et sur la liaison entre les deux en vue d’assurer la continuité et la flexibilité de l’approvisionnement en gaz naturel de la péninsule ibérique. En juillet 2021, la compagnie nationale algérienne et la firme espagnole Naturgy ont indiqué que la capacité du Medgaz atteindrait 10 milliards de mètres cubes/an au cours de l’automne 2021 après la fin des travaux d’expansion de 2 milliards de mètres cubes/an. Medgaz devrait alors représenter 25% du gaz naturel consommé par l’Espagne, avaient précisé ces deux sociétés. Medgaz est contrôlé par la Sonatrach (51%) et par Naturgy (49%).

L’importance croissante du GNL

Pour l’Algérie, l’UE est de loin son premier marché pour ses exportations gazières. Outre les trois gazoducs d’exportation évoqués ci-dessus, ce pays dispose d’une autre option, le GNL. L’Algérie compte quatre complexes de liquéfaction de gaz sur sa côte méditerranéenne, GL1Z, GL2Z, GL3Z et GL1K. De son côté, le Maroc envisage depuis plusieurs années l’importation de GNL sur son territoire, un projet qui pourrait être achevé avant la fin de cette décennie. L’horizon 2028 est évoqué par le ministère marocain de l’Energie, des Mines et de l’Environnement (MEME). Ce projet a été reporté de plusieurs années par rapport aux plans originels du fait, notamment, du développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, selon les explications avancées par le Département de l’Energie, des Mines et de l’Environnement.

Le contrat de transit du gaz algérien via le Maroc grâce au GME expire à la fin octobre 2021. Tout récemment, le ministre algérien de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab, a indiqué que l’Algérie n’aurait plus forcément besoin du GME/GPDF pour exporter son gaz vers l’Espagne, en particulier grâce à l’expansion du Medgaz.

Le compte à rebours a-t-il commencé pour le GME, l’un des rares projets emblématiques d’une coopération énergétique au Maghreb ?

Francis Perrin, Senior Fellow au Policy Center for the New South 

Après des études d'économie et de sciences politiques à l'Université Pierre Mendès France (UPMF – aujourd'hui Université Grenoble Alpes) à Grenoble (France), Francis Perrin a travaillé plusieurs années comme journaliste et consultant indépendant sur les ressources énergétiques et minières avant de rejoindre en 1991 le Centre arabe de recherche sur le pétrole (APRC). Il a été rédacteur en chef d'Arab Oil & Gas (AOG) et de Pétrole et Gaz Arabes (PGA) entre 1991 et 2000 et directeur éditorial des publications de l'APRC de 2001 à fin 2011. Francis Perrin a créé début 2011 2012 Stratégies et Politiques Energétiques (SPE) et plus tard Energy Industries Strategies Information (EISI).