"Borges et moi", traduit en darija par Youssef Boucetta
Le texte suivant est une traduction de l’un des essais les plus personnels de Jorge Luis Borges. « Borges y Yo » ou « Borges et moi » est une réflexion dans laquelle l’auteur Argentin badine avec sa propre célébrité, jouant avec l’idée de son image publique. Cet essai dresse le portrait d’un dédoublement, de la fracture d’un soi qui n’arrive pas à se localiser dans une totalité singulière ; il s’agit d’une image qui se divise dans un jeu de miroirs d’identité. Pour Borges, ce portrait dédoublé est le résultat de sa célébrité de long-terme. Mais en tant que jeune marocain, ce portrait me semble apte à être réinterprété pour décrire certains aspects de la diglossie.
La langue ciblée par cette traduction est la Darija—particulièrement la Darija orale. Cette traduction ne constitue pas une tentative de formaliser cette langue ou d’élever son registre pour la rendre écrite. Il s’agit plutôt de la transcription d’une traduction orale pour une langue qui n’existe pas encore formellement à l’écrit. cette traduction est faite principalement pour être lue à voix haute. La forme de Darija orale qui accueille cet écrit est fluide dans ces frontières, poreuse, elle accepte les emprunts et agit comme l’élément d’une transformation et d’une réclamation d’un Français colonial. Cette traduction fait appel à la langue utilisée naturellement par la jeunesse. C’est la langue de Hit Radio, du Rap Marocain, du cinéma et de la télévision. C’est la langue qui flotte dans les allées de nos centres urbains, et dans certains plateaux de télévision. J’ai fait appel au Français pour certains noms communs et pour des termes un peu plus techniques. J’utilise aussi l’Anglais une ou deux fois, pour refléter son rôle grandissant dans le remplissage de certains interstices lexicaux de la Darija orale au Maroc. Pour rester dans une logique d’expérimentation, je me permets également de faire usage de l’alphabet latin, imitant les modalités de communication en ligne.
Ce texte agit comme une projection vers le futur. Il représente l’espérance d’un Maroc qui cesse de dénier idéologiquement son héritage culturel hybride mais qui cherche plutôt à se réconcilier avec et à transcender son complexe d’infériorité culturelle. Cet exercice a été difficile, j’ai dû faire des décisions dont je reste incertain. Mais l’objectif n’est pas de « parfaire » la langue que l’on parle en la mettant à l’écrit, ou même de l’imiter au grain près.
Pour conclure, je reconnaît que beaucoup de monde verra en ce texte une monstruosité indigne d’exister. Je ne cherche pas à provoquer, mais peut être à bousculer certaines consciences pour maintenir visible à tout moment cette zone de conflit qu’est le terrain
linguistique marocain. Face à ceux qui distinguent langues et dialectes, qui hiérarchisent le langage et les façons de parler, il faut ramener à l’évidence la superficialité idéologique de ces lignes de pensées, et comme dirait Jacques Derrida, il faut « faire apparaître leur artifice historique, leur violence aussi, c'est-à-dire les rapports de force qui s'y concentrent et en vérité s'y capitalisent à perte de vue » (le monolinguisme de l’autre).
Youssef Boucetta
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Ana ou Borges
Lakhor, Borges, howa li kay jiwh les idées. Ana kan tssara f Buenos Aires ou kan akhod we9ti, wa9ila mécaniquement, bach nchouf l’arc dial had la porte; men Borges kay jiwni lkhbar fl mail, kan chouf smiyto f chi liste dial l’2asatida, oulla f chi diccionaire dial les biographies. Ana kay 3ejboni sway3 dial trab, l kharitat, les typographies dial le XVIIIè siècle, l9ahwa bnina, ou la prose dial Stevenson ; lakhor kay 3ejboh nefss l7wayj, walakin kay akhodhom trop sérieusement ou kay dirhom les attributs d’un acteur. M3ay9a ngol bi ana 3ala9atna elle est hostile; ana kan 3ich, kan khelle rassi n3ich, bach Borges y 9der y tele3 9issat, ou hadok l9issat elle me justifient. Ma khasser walo ila golt bi ana howa kteb chi wri9at mezianin, walakin hadok lwri9at ma imkellehomch y 3et9oni, wa9ila hitach l7wayj zwinin ma kay konoch dial chi wahed, machi ga3 dial lakhor, kay welliw dial lougha oulla dial la tradition. Zid 3liha ana je suis destiné ntlef, b marra, ou gher la7da diali li kat b9a f la7da li moraha. Chouya b chouya, kan 3tih koulchi, walakin tabi3a lmsmouma dialo kat dfe3ni lkdoub ou kan bda kan nzid f l7wayj. Spinoza gal bi ana ay haja elle veut perseverer f rassha; 7ajra bghat tb9a dima 7ajra, ou nmer bgha i b9a nmer hta howa. Ana bghit nb9a Borges, machi f ana bnefsi (ila kant chi haja nefsi), kan t3eref 3la nefsi 9el fl ktouba dialo men kan t3eref 3la nefsi fchi ktouba khrin oulla f neghma dial chi guitarre. Chhal hadi 7awlt nthenna menno ou dezt l les mythologies dial l7oma, ou l l’infini, walakin hadak wla la3b dial Borges daba ou ana kan feker f7wayj khrin. Daba kan hreb f hayati ou koulchi kay tlefli ou koulchi kan nssah, oulla kay welli dial chi wahd akhor.
Ma3reftch chkon fihom kay kteb had la page.
Tarjama men Sbalonia l’Argentinia dial Borges l Darija l Maghribia dial Youssef Boucetta
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Youssef Boucetta est étudiant au Amherst College, en littérature comparée et cinéma. Fils de diplomates et polyglotte, il est également auteur de plusieurs articles sur la darija et son usage au Maroc.