“Génération Green 2020-2030” : 5 questions à Abdelghani Youmni
La nouvelle stratégie de développement du secteur agricole “Génération Green 2020-2030”, lancée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI en février 2020, se base sur deux principaux fondements, à savoir la valorisation de l’élément humain, en particulier les jeunes, et la poursuite de la dynamique de développement du secteur, en favorisant le développement humain et social.
Dans un entretien accordé à la MAP, Abdelghani Youmni, économiste et spécialiste des politiques publiques dans les pays du Sud et de l’est de la Méditerranée (PSEM), revient sur le rôle de cette stratégie dans le développement du secteur agricole et dans la relance de l’économie et de l’emploi ainsi que sa dimension verte.
1 – Comment la stratégie Génération-Green 2020-2030 peut contribuer au développement du secteur agricole?
La stratégie Génération-Green 2020-2030 vise principalement à améliorer l’inclusion économique des jeunes en milieu rural, en favorisant la transformation numérique des outils de production agricole pour améliorer la productivité, rendre efficiente les techniques d’irrigation et d’économie d’eau et soutenir les marchés d’exportation, en encourageant les produits à haute valeur ajoutée comme les fruits rouges et ceux qui créent le plus d’emplois à technicité évolutive.
S’appuyant sur les succès du Plan Maroc Vert lancé depuis 2008 et celui du programme de renforcement des chaînes de valeur agroalimentaires, cette stratégie peut contribuer au développement du secteur agricole si les contraintes exogènes et endogènes qui freinent l’émergence d’un modèle de développement du monde rural sont neutralisées ou du moins réduites.
Dans ce sillage, il faudra lutter contre la sécheresse et les déficits de la pluviométrie par une meilleure maîtrise de l’utilisation des eaux, du traitement et du dessalement d’eau de mer, une urbanisation du monde rural et l’amélioration de sa financiarisation pour décourager l’exode, en plus de la construction de pôles de formation agricole comme des lycées et des instituts technologiques spécialisés dans l’agro-écologie et la transition énergétique.
2 – Comment cette stratégie peut contribuer à la relance de l’économie ?
Notre économie n’a pas besoin d’être relancée, mais de décoller. Je désigne par cela l’entrée dans une ère d’émergence et de création de valeur par la production et l’innovation.
Relancer l’économie marocaine, c’est aussi permettre au monde rural de s’intégrer dans le tour de table du partage de la richesse à défaut d’en être seulement un de ses producteurs.
Les objectifs fixés par Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour la nouvelle stratégie agricole, notamment l’accès des investisseurs au foncier, mobiliser les terres agricoles appartenant aux collectivités ethniques, rendre justice aux petits agriculteurs, encourager les coopératives pilotées par des femmes et par des jeunes puis faire émerger une nouvelle classe moyenne agricole résume bien ce besoin d’une révolution schumpétérienne dans le monde rural et reflète une volonté de créer deux locomotives de croissance pour le Maroc, l’une urbaine et l’autre rurale mais convergentes toutes les deux vers le développement et l’émergence économique.
3 – Comment peut-elle relancer l’emploi ?
Au Maroc, la pauvreté est essentiellement rurale et l’inégalité est essentiellement urbaine. Dans les campagnes, le potentiel des terres arables irriguées est très faible et les titres fonciers sont rares, ce qui rend difficile toute tentative d’investissement et d’entreprenariat en milieu rural.
En matière de quantification, plus de 11 millions vivent en milieu rural, soit 33% de la population, dont seulement 2 millions d’actifs. Ils vivent à 80% de revenus agricoles qui ne représentent que 20% du Produit intérieur brut (PIB).
La stratégie Génération-Green 2020-2030 peut créer des emplois, mais elle doit aussi composer avec la forte corrélation annuelle entre campagne agricole, pluviométrie et emploi rural en intégrant les défis démographiques, écologiques, économiques et sociaux de cette frange de la population marocaine.
Ainsi, pour la création de nouveaux emplois, il va falloir accélérer la modernisation des campagnes, la digitalisation des services et des techniques agricoles et paradoxalement augmenter le niveau de mécanisation dans les exploitations agricoles, de l’élevage et de la production des produits laitiers et de leurs dérivés.
4 – Quelle est votre lecture de l’essor de la stratégie ?
Le plan Maroc vert, malgré ses imperfections, est un triomphe. Les 147 milliards de dirhams investis ont permis de réduire notre dépendance alimentaire et de rendre compétitives, variées et exponentielles les productions agricoles marocaines et les prix accessibles à toutes les couches sociales.
Cependant, les inégalités régionales causées par la qualité des terres et de disponibilité des eaux pour l’irrigation n’ont pas permis à ce plan de devenir une arme absolue contre la pauvreté rurale et contre les déficits en emplois.
Nous devons désormais inclure ces paramètres dans la modélisation de cette stratégie pour doubler la part agricole dans le PIB, doubler le nombre d’emplois et rendre la balance commerciale agricole moins déficitaire, afin de mobiliser le surplus financier vers la formation aux ingénieries agricoles, la recherche et développement et l’urbanisation du rural dans le respect du cachet des traditions et des cultures du terroir.
A terme, la réussite de cette stratégie se traduira par une maturité du modèle de création de richesse, de modernisation et d’attractivité du monde agricole et par son intégration dans l’État moderne que nous inspire le réformisme inclusif suivi par le Maroc depuis plus de vingt ans.
5 – Qu’en est-il de la dimension verte de la stratégie, en particulier par rapport à l’ambition de développer une agriculture résiliente et durable via l’application du volet relatif aux eaux d’irrigation et l’accompagnement des agriculteurs dans la transition vers les énergies renouvelables ?
Relever le défi écologique dans la dimension verte de la stratégie tout en voulant développer une agriculture résiliente et durable n’est pas chose aisée. Elle demande une transformation de l’organisation productive et même sociale et ne pourra réussir que si elle est incarnée par les agriculteurs eux-mêmes.
Rappelant que les possibilités de création et d’adaptation aux changements sont des éléments clés de la résilience des écosystèmes dépendant des actes des humains. Nos agriculteurs devront être en transition agro-écologique pour apprendre à mieux irriguer, mieux utiliser des fertilisants et à mieux utiliser les énergies renouvelables.
Dans la voie ouverte à la production par les énergies renouvelables d’une énergie électrique gratuite, il y a le piège de surconsommer les eaux pour l’irrigation, une question de curseur. Pour faire simple, l’accompagnement et la pédagogie doivent s’intensifier pour ne pas épuiser l’eau, ressource épuisable, avec des énergies inépuisables nécessaires à la rupture avec l’empreinte carbone et les défis environnementaux.