Entretien PCNS: Rim Berahab analyse le secteur de l’énergie à l’épreuve du Covid-19

Entretien PCNS: Rim Berahab analyse le secteur de l’énergie à l’épreuve du Covid-19

Les enjeux climatiques et le futur des énergies fossiles et renouvelables restent au cœur de l’actualité mondiale notamment avec le retour des Etats Unis à l’accord de Paris sur le climat.

Cette problématique devenue, plus qu’un enjeu mondial, la pandémie du Covid-19 est venue bouleversée les données. Ainsi se pose l’avenir de la politique mondiale sur le climat.

Rim Berahab, économiste et spécialiste des enjeux énergétiques au Policy Center for the New South apporte des éclairages sur les enjeux du climat. Entretien.

Quels sont les défis immédiats et à long terme que la pandémie du COVID-19 a créé dans le secteur de l’énergie ? 

La crise du COVID-19 a provoqué plusieurs perturbations à court terme dans le secteur de l’énergie. La mise en œuvre de plusieurs mesures de confinement pour freiner la propagation du virus a entraîné une baisse généralisée de la demande d’énergie. Cette situation, combinée à une guerre des prix entre les pays de l’OPEP+, notamment l’Arabie saoudite et la Russie, a contribué à L’effondrement des prix du pétrole brut sur le marché international. Les conséquences immédiates de cette baisse ont été particulièrement ressenties dans les pays exportateurs de pétrole, qui dépendent fortement des revenus pétroliers pour financer leurs économies. Ces pays se sont retrouvés dans une situation de manque à gagner considérable. Par ailleurs, les chaînes d’approvisionnement des technologies d’énergie renouvelable ont été perturbées, principalement parce que, d’un côté, les sources de ces technologies, notamment la Chine, ont réorienté leurs efforts pour faire face à la pandémie, et de l’autre côté, le transport mondial a été interrompu. Les emplois dans le secteur de l’énergie, particulièrement dans le segment hors réseau, ont également été menacés.

À moyen terme, l’effet de la pandémie sur les marchés pétroliers s’est estompé car les prix du pétrole brut ont augmenté, approchant même les niveaux d’avant la pandémie. Cependant, si la crise du COVID-19 nous a montré quelque chose, c’est la vulnérabilité de nos systèmes énergétiques, sur lesquels repose bien souvent le développement économique. L’un des principaux défis à long terme est donc de renforcer la résilience du secteur énergétique afin qu’il soit en mesure de faire face à des crises similaires. Cette résilience nécessite la modernisation des infrastructures énergétiques existantes, mais aussi la diversification du mix énergétique et le déploiement plus large d’énergies renouvelables compétitives. Cela nécessite donc l’adoption de stratégies spécifiques, en fonction des besoins les plus pressant de chaque pays et des ressources disponibles, mais crée à son tour d’importants défis, notamment en matière de financement, de réglementation et de volonté politique et populaire.

Dans quelle mesure peut-on percevoir la crise du coronavirus comme étant un facteur capable d’accélérer le rythme de la transition vers l’énergie verte, à l’échelle nationale et mondiale ?

Personne ne peut nier les conséquences désastreuses de la crise du COVID-19 sur la santé humaine et l’activité économique. Il est également vrai que la pandémie a momentanément détourné des ressources essentielles ainsi que l’attention politique et financière de la transition énergétique, mais elle représente en même temps une opportunité pour repenser les modèles de développement actuels afin de construire un avenir plus résilient, durable et inclusif. Une fenêtre d’opportunité s’ouvre donc pour les pays du monde entier afin de relancer et d’accélérer les progrès en matière d’approvisionnement et d’accès à une énergie durable et sûre.

Afin de rompre avec les pratiques néfastes du passé et de s’orienter vers un avenir plus vert, les plans de relance économique doivent donc reposer sur le principe de « reconstruire en mieux » Cela signifie que les pays ne peuvent pas simplement relancer leurs économies en reprenant les mêmes pratiques de production qu’auparavant. Au contraire, les plans de relance doivent activer le changement, en plaçant la durabilité au centre de cette réflexion. Cela est désormais possible, car la crise actuelle a fait voler en éclats les limites de ce qui est politiquement faisable en termes de politiques et de stratégies. Par conséquent, tout plan de relance économique doit comporter trois éléments :

  • – le potentiel de croissance à long terme, 2) - la résilience aux chocs futurs, 3) - la décarbonisation, et une trajectoire de croissance verte. Si la transition verte est un processus à long terme, nous ne devons pas manquer la ligne de départ.

Quels changements ont été considérés dans l’élaboration des politiques énergétiques et climatiques des pays dans la phase de reprise post COVID-19 ?

Si pour certains pays, la question de l’environnement et du climat est au cœur du processus de relance économique post COVID-19, pour d’autres, la priorité est de stimuler la croissance et la création d’emplois « par tous les moyens ». En Chine, par exemple, une grande partie des


fonds de relance pourrait encore être canalisée vers des dépenses d’infrastructure à forte intensité de carbone, tandis qu’au Mexique, plusieurs mesures ont été prises pour freiner la transition énergétique en faveur de la modernisation de plusieurs centrales électriques alimentées au charbon, au diesel, au gaz et au pétrole, dont beaucoup devaient être mises hors service.

Néanmoins, certaines économies font contrepoids. Le gouvernement français a annoncé un plan de relance de 100 milliards d’euros, dont près de 30 milliards d’euros pour quatre secteurs clés « écologiques ». Ce plan prévoit, entre autres, que la France se joigne à l’Allemagne pour canaliser l’argent vers son industrie de l’hydrogène et fournir des fonds supplémentaires pour rendre le parc automobile national plus propre. Cependant, plusieurs critiques affirment que le plan de relance de la France s’agit, certes, d’un pas dans la bonne direction mais qu’il n’est pas à la hauteur des investissements plus importants et des changements structurels nécessaires pour rendre l’économie française plus verte. Par ailleurs, une attention particulière devra être accordée à la protection des parties vulnérables de la population lorsque des politiques environnementales ou de lutte contre le changement climatique sont envisagées, comme en témoigne le mouvement des Gilets jaunes.

Du côté des pays en développement, le Nigeria a annoncé un plan économique intitulé « Bouncing Back », qui comporte des dispositions concernant l’expansion de l’infrastructure solaire du pays et un programme d’expansion du gaz, qui, selon le gouvernement, accélérera la transition du Nigeria vers une ère post-pétrolière et encouragera l’utilisation domestique de carburants plus propres. En outre, la décision « verte » la plus importante prise par le plus grand producteur de pétrole africain pourrait être la suppression des subventions à l’essence suite à l’effondrement des prix mondiaux du pétrole. Toutefois, de nombreux doutes émergent sur la mise en œuvre effective de cette réforme.

En effet, depuis novembre 2020, le prix de l’essence est resté inchangé malgré l’augmentation des prix du pétrole brut sur le marché international, qui ont dépassé la barre des 70 USD le baril en février 2021.

Force est alors de constater que bien que de nombreux pays aient adhéré à l’idée d’une relance verte, leurs plans de relance ne contiennent que des gestes écologiques symboliques et ne font pas de la croissance verte un objectif central. La volonté politique doit donc être le moteur de ces réformes.

Quels défis et opportunités pour les objectifs climatiques du Maroc dans un scénario post COVID-19 ?

Il est clair que la priorité des gouvernements est désormais de sauver des vies, de relancer les secteurs productifs des économies, de préserver les emplois et de soutenir les entreprises en difficulté. Toutefois, la menace imminente de la pandémie ne doit pas mettre en péril les voies du développement durable. Il ne fait aucun doute que l’engagement du Maroc en faveur des énergies renouvelables depuis 2009 a fait preuve de sa pertinence. Plus d’une décennie plus tard, l’opportunité est toujours là malgré les nombreux bouleversements de l’économie mondiale.

Le Maroc a atteint l’accès universel à l’énergie et près de 20% de son approvisionnement en électricité est, désormais, issu des énergies renouvelables. Cette croissance des énergies renouvelables a été stimulée par des politiques de soutien qui ont contribué à réduire le coût du financement et à promouvoir des investissements privés ciblés. Ainsi, les atouts stratégiques fondamentaux du Maroc, cristallisés dans son potentiel solaire et éolien, sont aujourd’hui en mesure de générer des bénéfices socio-économiques et environnementaux très importants. Par ailleurs, de nouvelles technologies ont émergé, telles que les filières de production à base d’hydrogène. Le défi pour un avenir plus vert consiste désormais à passer d’une stratégie d’électricité renouvelable à une stratégie d’énergie renouvelable, qui englobera tous les secteurs de l’économie, dont l’industrie, transport et l’agriculture, ainsi qu’à l’adapter aux évolutions actuelles en termes de technologies et de prix, dans le but d’accroître la résilience de l’économie et de créer des emplois durables.

Entretien réalisé par le Policy center

Rim Berahab est économiste au Policy Center for the New South, qu'elle a rejoint en 2014. Elle travaille actuellement sur des thématiques liées aux enjeux énergétiques et à leurs impacts sur la croissance économique et le développement à long terme. Ses domaines de recherche couvrent également les défis du commerce et de l'intégration régionale en Afrique. Auparavant, elle a également travaillé sur des questions liées aux inégalités de genre sur le marché du travail des pays d'Afrique du Nord. Rim a passé trois mois au Fonds monétaire international (FMI), en 2016, dans l'unité des produits de base du département de la recherche. Elle est titulaire d'un diplôme d'ingénieur d'État de l'Institut national de la statistique et de l'économie appliquée (INSEA).